Le soleil inonde de lumière la chambre et donne un avant-goût d'une journée magnifique. Je plisse les yeux, complétement éblouie et me décide enfin à me réveiller. Endolorie par mes quelques courbatures, j'exprime à haute voix le besoin d'être dorlotée au SPA. Mais pour l'instant ma vessie est pleine. Cambrée, j'avance avec difficulté vers les toilettes pour soulager mes besoins. Alors tout un tas d'idées me viennent à l'esprit sur comment décorer ma grande maison à deux étages, avec six chambres et un grand jardin pour que des enfants puissent gambader librement. Je pense aux meubles que je dois acheter en premier pour combler le vide : un divan qui ne sera pas trop rapidement usé et abîmé par les petits monstres, une télé avec abonnement offrant un large éventail de chaînes pour tous petits, un berceau, des ustensiles, etc.
Ensuite, je retourne dans ma chambre ou le lit a laissé place à un miroir dans lequel je peux enfin contempler ma nouvelle silhouette : je caresse mon ventre bien arrondie en affichant un sourire qui se lèverai presque jusqu'au niveau de mes oreilles. En une fraction de secondes, je me retrouve à l'extérieur, dans un parc, entourée de mes parents, de ma sœur et de mes amis. Ils me félicitent tous. Je suis aux anges lorsqu'à quelques mètres de nous apparait Azraël entouré de ténèbres, immobile et le regard dans le vide, accompagné de Joshua. Celui-ci pose un regard cruel presque assassin sur moi et sur mon ventre. Il finit par se mouvoir, se déplaçant dangereusement vers moi, juste avant de me poignarder  et de murmurer avec un sourire au coin "tu n'aurais jamais d'enfants... jamais."
Je hurle sans pouvoir m'arrêter. Je finis par être à bout de souffle, mon cœur s'emballe et d'une voix haletante, du bout des lèvres j'interroge des ombres, l'obscurité ou peut-être bien mes propres démons "où est mon bébé" et je répète sans cesse ma question une main sur mon ventre trop plat selon moi et l'autre sur mon front en sueur. Skadi, ma petite sœur, et maman entrent soudainement dans ma chambre et se précipitent sur mon lit. Très vite, elles me regardent, ne comprenant rien à ce que je raconte et essaient de me ramener à la réalité... "Tu as fait un cauchemar Hécate, mais c'est fini. Tout va bien" "Mais maman dis-moi où il est" lui ai-je répondu complétement désespérée tandis qu'elle m'examine du regard, pas vraiment certaine de savoir de qui je parles : du bébé imaginaire ou de Joshua. Lorsqu'enfin je retrouve la raison, Skadi se redresse et ouvre les rideaux pour chasser mes ténèbres sachant très bien que j'ai fait savoir que je ne voulais pas les laisser ouverts, le soleil altérant mon malheur. D'un coup d'œil vers le réveil, je réalise qu'il est dix heure vingt. Une nouvelle journée désespérante débute.


Après m'avoir observé sous tous les angles et avoir laissé plané un silence stressant, mon psychologue se décide à poser à rouvrir la bouche pour me poser d'autres questions ennuyantes. "De quand date votre dernier vrai repas Hécate ? Et je ne parle pas de vos grignotage de petite souris mais d'un repas équilibré, complet" Je sourcille en faisant semblant de réfléchir et hausse les épaules. "Hm... sans doute avant ce stupide accident" ai-je rétorqué, alors qu'il gribouille aussitôt dans son carnet. Il en a d'autres des questions comme ça ? Encore une fois, je sens son regard sur moi, inspectant mon corps amincie. Il ne s'en était pas rendu compte lors de nos précédents rendez-vous puisque je portais des vêtements amples. Je soupçonne ma mère d'avoir très bien su ce qu'elle faisait en décidant de choisir mes vêtements. C'est fou comme elle m'infantilise en ce moment.
"A quoi pensez-vous ? Devrez-je demander à qui ?" Devant mon silence et ma tête de fille à côté de la plaque, il reprend "Joshua ?". Comme offensée, je me redresse de mon siège et lui lance un regard noir "Pourquoi devrais-je penser à ce chauffard ? Il n'a rien avoir dans toute cette histoire, il a rien à faire dans ma tête, dans ma vie et encore moins dans ce cabinet !". En colère rien qu'à l'évocation de ce prénom, mon sang boue dans mes veines. "Allons droit au but, Hécate. Comme vous me l'avez fait comprendre lors de notre première séance, c'est à cause de lui que vous êtes dans cette état là et pas seulement à cause de votre stérilité, comme vous tentez de vous le faire croire" argumenta-t-il, toujours aussi posé et réfléchit. Je constate qu'il a fait attention à ne pas citer de nouveau ce prénom mais je me sens encore plus mal au son du nom de mon mal... ma stérilité. Qui a dit que je la faisais mienne ? C'est une aberration. Il poursuit "je vous rappelle que vous avez reconnu que vous pensiez qu'il était responsable de l'accident et de tout ce qui en a découlé. Pourtant, vous persistez à nier le fait que vous vous laissez aller et que vous êtes surtout malheureuse à cause de son abandon". Il est psychologue ou médium ? Quand il ne pose pas d'interrogations, il fait des affirmations, comme s'il savait tout mieux que moi. Tout à coup, la porte s'ouvre avec fracas en laissant entrer ma mère qui semble encore plus furieuse que moi, et bientôt suivit de mon père, Skadi et la secrétaire  qui agite les bras et hausse la voix en vain.


Le médecin et moi écarquillons les yeux devant la scène lorsque maman lui fait face, agitant son doigt sous son nez. "Ça finit par suffire, Mr Goldstein". Ce cher monsieur ne se laisse pas troubler et se lève de son siège pour faire face à son attaquante. "Mme Holmes, je vous répète et vous sommes de ne pas m'interpeler en ces termes lorsque vous vous adressez à moi. Je suis le Docteur Goldstein". Ne se laissant pas décourager, elle reprend "Hécate sait pourquoi elle est dans cette état-là, je le sais, VOUS le savez alors il serait tant de faire avancer les choses. Nous voulons des solutions. Je vais donc vous poser pour la dernière fois une question claire et nette. Pouvez-vous, oui ou non, sortir ma fille de l'état dans lequel elle se trouve ?". Dans mon fore intérieur, je le supplie de répondre non, pour me laisser plonger dans ma dépression, comme il l'appelle, pour que je me laisse mourir d'inactivité et de faim. Soudain, ils se tournent tous vers moi et leurs yeux ne peuvent se détacher de moi, les yeux qui pétillent et les visages qui irradie : le docteur a dit oui, si seulement je veux bien y m'être du mien.


Le rythme cardiaque accéléré, à bout de souffle, je monte les escaliers en courant pour ensuite me précipiter dans ma chambre. Sans perdre une minute, j'ouvre tiroirs et placard, tire une grosse valise à roulette du lit. Sans effort, je la jette sur le lit et une fois ouverte, j'y jette quelques vêtements, des chaussures, ma trousse de maquillage quand ma mère fait irruption. Je feins de ne pas avoir remarqué son absente et me tourne pour attraper mon ordinateur portable, mon smartphone et des chargeurs. Atterrée, ma mère fini par signaler sa présence. "Mais... mais... Hécate. Tu peux m'expliquer ce que tu fais au juste". Je m'arrête en sourcillant. Les mains sur les hanches, je penche la tête sur le côté, un léger rictus au coin des lèvres."C'est quoi cette question ? Je fais mes valises, tu vois bien maman !". Si seulement, je pouvais gagner du temps et éviter un interrogatoire. Mais en apercevant le reste de la famille qui pénètre dans ma chambre, je me dis que c'est raté. A son tour, mon père s'y met. "Mais où est-ce qu'elle va comme ça ?". Pour seule réponse, il obtient un haussement d'épaules de ma mère, avant de se tourner vers moi, complétement déboussolé. Je prends les devant et leur raconte tout "Je l'ai retrouvé ! Il est en Angleterre dans un endroit qu'on appelle Rose Hip. C'est Azraël qui me l'a dit. Bon, j'avoue que je l'ai un peu forcé à me révéler sa petite découverte et à me laisser voyager avec lui. C'est un miracle qu'il ait dit oui. Du coup, j'ai pris une année sabbatique à la bibliothèque. De toute manière, je ne suis toujours pas prête à retrouver mon poste. Donc... ça ne change pas grand chose" Je fais une petite pause dans mon long monologue, le temps de bien inspirer, tout en continuant à emballer mes affaires. "J'avais pris l'habitude de voir Azraël dans un piteux état, mollasson comme c'est pas permis. Mais quand je suis passé le voir, j'ai senti une différence : son regard était moins perdu et plus vivace, presque dynamique, j'ai vu que sa boîte aux lettres était vide, qu'il avait enfin pris le courrier qui s'était entassé. C'est là, que j'ai tout compris.". Mon récit terminé, je me saisis de mon sac à main, et de ma valise mais impossible de sortir de la  pièce... ma famille fait obstacle. Ils sont fous, ils vont me faire rater le vol. En plus, je ne peux pas compter sur Azraël pour m'attendre depuis qu'il m'ignore et qu'il fait comme si nous n'avions jamais été amis... Worst BFF of the world ! Skadi se risque à me poser une question. "Je ne comprends pas. Après tout ce qu'il s'est passé, tu laisses tout en plan pour aller à sa rencontre". Dans le regard de mes parents, je lis la même inquiétude que je trouve sur le visage de ma petite sœur. Enfin, pas si petite vu que nous n'avons que deux ans d'écart. Je fais glisser mes bras sous les siens et pose mes mains sur son dos pour la serrer fort. "Vous pouvez pas me retenir si vous m'aimez. J'ai besoin de comprendre deux ou trois choses et j'ai trop de doutes qui me hantent, des interrogations qui restent sans réponses. Et je ne peux pas vivre si je n'en ai pas. " Et puis, je suis majeure depuis un bail quand même ! Mais je préfère taire cette réflexion. Je poursuis mon plaidoyer en me reculant un peu. "vous avez vu que j'ai fait des efforts et que j'ai suivi tous les conseils du médecin : j'ai repris le sport et la lecture, j'ai repris un peu de poids et j'arrive même à sourire de temps à autre. Mais si je reste ici, pendant que lui il continue à vivre sans s'inquiéter de mon état de santé ou de savoir si je suis bien en vie, je vais replonger parce que je sais que je ne pourrais pas supporter ça. Pas après tout ce qu'on a partagé ensemble."

Finalement, je me retrouve quelques heures plus tard, en route pour l’Angleterre, assise à côté de celui que je pensais être mon meilleur ami. Il ne failli pas, n'oscille même pas. J'ai l'impression d'être assisse près d'un mort. Il est si près et il me manque tellement. J'aurais aimé qu'il soit là pour moi, qu'on partage notre peine et qu'on se réconforte mutuellement. D'un autre côté, je sens bien que c'est encore la faute de Joshua. Lui, dont j'ai évité pendant si longtemps de nommé le nom ou de penser à lui. Pourtant, je sais qu'il n'a pas quitté mes pensées noires. Je l'ai tellement aimé... Comment a t'on pu en arrivé là ! Si seulement il m'avait écouté, moi et mes réticenses. A présent je me sens comme mutilée, comme inutile et incomplète ; parce que mon plus grand rêve ne se réalisera jamais. Depuis gamine, je voulais être mère, et ce n'était pas juste une rêve de gamine qui s'oublie en grandissant. J'étais faite pour ça et pour donner de l'amour à mes enfants. Et lui, il m'a arraché tout ça,en plus du fait qu'il m'a abandonné sur un lit d'hôpital, encore dans le coma entre la vie et la mort. Quel genre d'amour ressentait-il pour moi ? Mais bientôt, je pourrais lui cracher toute ma colère.