6 juillet 1986 - 23h57, il pleuvait à Glasgow. Un homme d'une trentaine d'années faisait les cents pas dans la salle d'attente de la maternité. Sa femme, à peine plus âgée que lui, était en train de donner naissance à leur premier enfant. La petite fille ou le petit garçon faisait déjà des siennes, comme si c'était prévu qu'il ou elle devienne un gosse pourri gâté. Cela faisait plusieurs heures qu'ils étaient à l'hôpital et le bébé n'arrivait pas. Le futur père savait que, pour un premier enfant, il fallait du temps, mais à ce point... Douze heures. C'était trop pour lui. Et pour sa femme. Peu après, un médecin vint à la rencontre de l'homme. "Monsieur Lloyd. Votre femme vient d'accoucher. C'est un petit garçon. Cependant, nous avons du lui faire une césarienne donc, Madame est très fatiguée. Il lui faudra énormément de repos" "Et ... Et le bébé?" "Il va bien. Votre fils va bien". Spencer se sentait pousser des ailes. Il était papa. Sa femme allait bien, le bébé aussi. La fatigue allait se dissiper mais, au moins, rien n'était arrivé à Olivia. Il avait tellement eu peur de la perdre. Il regarda l'horloge: minuit vingt. Son petit trésor était donc né le même jour que sa maman, disparue alors qu'il n'avait que huit ans. Si c'était pas un signe ça.

"Pan ! T'es mort !" "Ah... Ah... Aaaaaaaaah." Deux gosses jouaient ensemble dans un jardin. L'un avait les cheveux blonds comme les blés et l'autre noir comme l'ébène. Ils devaient avoir cinq ans - six ans tout au plus. Ils étaient voisins depuis bien longtemps et, leurs après-midis, ils les passaient chez l'un et l'autre, à jouer. Le petit blond s'appelait Elijah. C'était un gamin extraverti, qui aimait faire des blagues et taquiner les gens. Ses parents, Spencer et Olivia, le couvaient plus que tout au monde mais lui, il détestait ça. Il ne comprenait cependant pas pourquoi. Son père lui avait raconté que sa maman avait fait plusieurs "fausses-couches" avant de l'avoir. Il ne savait même pas ce que c'était des fausses-couches, alors. Qu'est-ce que sa maman venait à faire dans l'histoire de couches-culottes ? Blague à part, Elijah apprit, plusieurs années plus tard, que sa mère et son père essayaient depuis longtemps d'avoir un enfant, sans succès. Elle avait fait cinq fausses-couches en à peine un an et demi. C'était énorme pour le corps d'une femme. Donc, pour Olivia, c'était normal qu'elle protège son seul et unique fils. Son père le couvait, mais moins. S'il tombait, il n'allait pas directement courir après lui. A l'âge de huit ans, son père fût muté à Rose Hip, une petite ville paisible d'après lui. Elijah n'avait pas du tout envie de quitter ses amis, il en était hors de question. Mais ce n'était qu'un gosse de huit ans et il n'avait rien à dire. Cet été-là, ils déménagèrent dans une petite maison du quartier chic de la ville.


Aaaah la période tant redoutée de l'adolescence. Le début de celle d'Eli, comme beaucoup l'appelait, était plutôt normale. Il n'était pas impopulaire mais pas non plus populaire. Il n'avait pas les meilleures notes mais pas les pires non plus. Bref, c'était un élève plutôt ordinaire et surtout, qui essayait de se fonder dans la masse. Cependant, il avait atteint sa taille adulte à quinze ans et les élèves n'étaient pas tendres avec lui. Faire un mètre quatre-vingt-cinq, avoir la taille d'un homme, parfois même être plus grand, à son âge, c'était difficile à assumer. Et puis, finalement, il vécut avec. Il réalisa que sa taille était un atout et pas non plus une tare. On lui demanda même de rejoindre l'équipe de basket de son collège mais il refusa. Son excuse ? C'était un cerveau et pas un mec du genre à courir derrière une ba-balle. Le sport, très peu pour lui. Et pourtant, c'est ce qui le sauva en quelque sorte. A dix-sept ans, et à cause de sa poussée de taille en à peine quelques mois, Elijah attrapa une hernie discale ainsi qu'une déviation de la colonne vertébrale. La kiné l'aida un peu mais pas non plus des masses. Et puis, il n'était pas régulier et ne faisait pas ses exercices à la maison. Le dernier recours, d'après son médecin, c'était la pratique régulière d'un sport. Attention, pas un sport brute mais qui allait développer ses dorsaux. La natation lui paraissait le mieux adapté. C'est ainsi qu'à sa rentrée en terminale, il commença les entrainements dans l'équipe de natation de son lycée, sans savoir que ce choix allait tout changer chez lui.


"Lloyd ! Chez le directeur ! Maintenant !" Elijah, roulant des yeux, se leva de sa chaise, emmenant ses bouquins avec lui. Il détestait ce professeur: Madame Hoper. En plus d'être moche, elle était vachement conne. Etre moche, elle n'y pouvait rien, c'était la nature qui l'avait rendue comme ça, mais conne, elle aurait pu travailler là-dessus au moins. Enfin, le gamin calme et réservé des années précédentes avait laissé place à un jeune homme sûr de lui, parfois trop. Elijah avait beaucoup changé, tant physiquement que mentalement. Il était, aprésent, l'un des élèves les plus populaires de l'école. Avec une fille de son équipe de natation, ces deux-là formaient la paire. Ils s'entendaient comme frères et soeurs et pour eux, ils l'étaient. Ils avaient eu, tous les deux, ce manque de compagnie en étant enfants et, à ce moment-là, c'était ce qu'il leur fallait. Les filles ? Il en avait autant qu'il en voulait, et le pire, c'est qu'il trouvait ça normal. "T'es vraiment qu'un sale con" Et hop, une gifle en plus. Il avait arrêté de les compter, d'ailleurs. Tout au long de cette dernière année, les notes d'Elijah avaient fortement baissé. Un de ces professeurs appela même ses parents. La cause ne fût pas difficile à trouver: ses parents étaient en plein divorce, Elijah était au milieu et se sentait délaissé. La seule solution qu'il avait trouvée pour qu'ils fassent attention à lui, c'était de foutre la merde un peu partout. Et ça marchait. Son père trouvait ça ridicule. Sa mère, elle, était plus perdue qu'autre chose. Le pire fût quand il leur annonça qu'il ne voulait pas faire d'études supérieures. Depuis qu'il était gosse, il trainait avec son oncle Ben dans les moteurs de voiture. Faire des vidanges, changer des pneus, trouver pourquoi une voiture ne démarre plus, c'était ça son dada. Son père était catégorique: c'était non. Quelques jours après avoir été diplômé, il prit ses clics et ses clacs et s'installa dans un petit appartement dans le quartier calme de Petal. Ce fût la meilleure décision de sa vie.


Dix ans plus tard, Elijah est toujours dans ce petit appartement, bien tranquille. Il est propriétaire d'un garage dans le même quartier, qui s'appelle simplement "Petal Garage". Travaillant seul et ayant du mal à arrondir les fins de mois, Elijah est également DJ dans une boîte de nuit les vendredis et samedis soirs. Il lui arrive aussi de servir au bar de cette même boite. En dix ans, il ne lui ai pas arrivé grand chose. Le train-trian quotidien à vrai dire. Côté coeur, ne lui en parlez pas, ça reste un sujet tabou chez lui. Réalisant qu'il avait fait pas mal le con en étant plus jeune, il avait fait son mea culpa avec les jeunes filles - jeunes femmes maintenant - qu'il avait blessées mais bien évidemment, il y en avait toujours une qui était têtue comme une mule. Cette jeune femme était Abigail Town et Elijah en était convaincu, elle allait changer le monde