Pourquoi avez-vous décidé de venir vivre à Rose Hip ? A Londres, il y a deux possibilités : soit vous êtes pistonné ou possédez un CV long comme le bras et les diplômes qui vont avec, soit vous menez une vie minable. Pour moi, c'était plutôt la deuxième option. Enfermée dans un cercle vicieux dont je ne savais comment sortir, je voyais les jours passer et l'accession à une vie meilleure me paraissait bien loin. On m'avait parlé de Rose Hip à plusieurs reprises : "l'idéal pour un nouveau départ", " un tremplin pour la réussite", "tu verras, avec ta jolie gueule, tu y réussiras", ... La première fois, j'avais ri, encore un nouvel Eldorado qui au final ne serait que déception. On traverse l'océan et rien, on plaque tout pour emménager dans une nouvelle ville et rien : le schéma allait se répéter, cela ne faisait pas de doutes. Cependant, progressivement, l'idée avait fait son chemin en moi. Qu'avais-je à perdre ? C'est après avoir avalé une énième assiette de pâtes que j'ai pris ma décision. De toute façon, ça ne pouvait guère être pire que Londres. Cinq mois après, je peux vous le dire sans ciller, j'ai bien fait. C'est peut-être même la seule chance que je n'aurais jamais. Je ne suis certes pas encore riche, mais je n'ai jamais eu autant d'argent qu'aujourd'hui et je ne l'ai jamais gagné aussi facilement.
Que pensez-vous de la Rosehaie, en toute honnêteté ? Pour être honnête, ce clivage entre la Rosehaie et les petites maisons proprettes de Rose Hip m'écœure un peu. Ca me rappelle vaguement l'Inde : la lutte entre les différentes castes, l'exclusion de certaines personnes de trop basse extraction ou sans le sou, le cercle vicieux où les dites personnes sont enfermées. Tu es né pauvre, tu resteras pauvre, c'est comme ça que la société fonctionne. Moi, je refuse ce fatalisme. Les habitants de la Rosehaie, je ne les méprise pas. Comment mépriser ceux qui vous ressemblent tant ? Je les aide quand je le peux. J'aimerais que leur niveau de vie s'améliore, qu'ils puissent redorer leur image dans la jolie petite bourgade. Je sais que ce que je fais n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan, mais j'en suis quand même fière. Il n'en reste pas moins vrai que les logements sociaux, ce n'est pas ce que je vise. Je veux passer de l'autre côté de la barrière blanche, avoir la vie facile des gens d'en haut.  
Comment vous définiriez-vous ? Le feu sous la glace, cliché n'est-ce pas ? Et plus sérieusement, je ne connais pas question plus difficile. Qu'il est dur de parler de soi ! Ceux qui connaissent mon passé vous direz que je suis une battante, qu'on ne peut pas survivre à autant d'épreuves sans avoir une grande force de caractère. La famille, les voisins, les amis restés en Inde, s'ils me voyaient aujourd'hui, vous direz que je ne suis pas quelqu'un de fréquentable, que je suis une dévergondée assoiffée d'argent et de luxe, une femme vénale et sans morale que les dieux, quels qu'ils soient, ont depuis longtemps abandonnée. Les hommes, dans leur grande majorité, vous direz que je suis une séductrice née, que je me pare de bijoux et de maquillage pour mieux les attirer dans mes filets. Mes collègues vous direz que je me crois tout permis, que, parce que je gagne plus qu'elles, parce que je suis la meilleure pouliche de l'écurie, je me crois en droit de leur donner des ordres. Mes employeurs vous direz que je suis un bon investissement : bosseuse, efficace, respectueuse, en bref l'escort modèle. Mon voisin vous direz que je suis la reine de l'informatique, bien qu'il en ait peu fallu pour mériter ce titre. Et moi, je ne vous dirais rien : un peu de mystère n'a jamais fait de mal à personne, n'est-ce pas ?

10 lignes = 10 lignes dans la zone d'édition de texte, et non une fois le message envoyé !