Moscou, RUSSIE - 18 heures. — Le hall d'entrée pavé de marbre blanc revêt un habit particulier dans la lueur du soleil couchant. Une atmosphère calme et paisible se dégage du bâtiment, en imposant par son architecture linéaire et puissante. Les quelques personnes passant par là restent conquises par le caractère angélique de ce lieu, mais elles ne savent sûrement pas qu'il habite les bureaux des défenseurs des pires criminels du pays. Clac clac clac. L'écho de mes talons martyrisant le sol se perd contre les murs gigantesques lorsque j'atteins enfin le bureau de mon avocat. Je me souviens encore de cette nuit pleine d'étoiles où la ville familiale avait été saccagée, les pleurs de ma mère ainsi que le bruit des menottes se refermant fatalement sur les poignets de son mari ne s'éteindront jamais. J'étais là, déterminée à ne pas laisser cette petite mésaventure ruiner notre vie. Parce que, oui, c'était une mésaventure, n'est-ce pas? Une plaisanterie de mauvais goût. La porte en bois massif claqua et quelques secondes plus tard, une mallette contenant une dizaine de liasse de billets prit place sur le bureau vernis de l'avocat. Muette, je le regardais. Je n'avais pas besoin de parler. Il savait tout, sans même m'avoir déjà vue. Il fit lentement glisser la valise jusqu'à lui, inspecta son contenu puis posa ses yeux azur sur moi, un sourire vicieux coincé sur ses lèvres. Ça ira. Lança-t-il, simplement. Deux mots. Que pouvaient-ils bien signifier? J'étais là pour sauver ma peau. Mais celle de mon père était-elle déjà mise à prix? Je n'en savais rien. Mais au fond de moi, j'étais persuadée qu'il allait s'en sortir. C'était lui, le baron. Si quelqu'un avait l'honneur d'aller croupir derrière les barreaux, c'était bien moi, sa fille. Pourtant, je n'avais aucun moyen de m'en assurer. Il était reclus depuis son arrestation, quelque part dans le pays, et je n'avais plus aucun moyen de le joindre.

Zippo en main, la flamme naissante lèche le papier blanc tandis que dans ma tête, cette phrase du juge Nalvany résonne inlassablement. Un affreux concours de circonstances à réussi à détruire en quelques secondes ce qui représentait le labeur d'une vie. Comme la brise qui fait s'effondrer l'immense château de carte. Il suffit d'un tout petit rien, d'un badaud présent au mauvais endroit au mauvais moment qui, par quelques mots, réussi à amener l'enfer aux portes de l'âme. Pourtant, tout semblait joué d'avance. L'affaire était finie, avant même d'avoir commencé. L'argent avait tout réglé. Dans ce monde, tout s'achète, me disait mon père lorsque j'étais enfant. Il s'était donc trompé. C'était lui, qui était condamné à pourrir dans une cellule miteuse, suintant l'humidité et la défaite. Lui qui se targuait toujours de passer entre les mailles du filet. Le papier photo se gondole sous l'effet de la chaleur et son visage rayonnant se tord en une grimace infâme. Comment va-t-il? Pas même besoin d'y répondre, la réponse et mon destin sont tout tracés. Il n'ira mieux que lorsque j'aurai réussi à remettre de l'ordre dans cette affaire. Et dans ce cas là, la vengeance devient un devoir devant lequel personne ne peut fuir.