Je ne vais pas vous faire l'histoire de la rencontre de mes parents... Je n'en ai aucune idée. C'est toujours un peu un mystère. Comment ma mère, Joséphine, noble, gracieuse, douce et riche a pu tomber folle amoureuse de mon père Gale brute, sans tact, pauvre... Comment a-t-elle pu s'enticher de lui au point de l'épouser et de se mettre à dos toute sa famille. Parce qu'il y a bien une chose qui comptait aux yeux de Joséphine c'était sa famille. Mais non, il valait plus que ses millions, que ses parents. C'est surement à cause d'elle que j'ai été une gamine romantique et que j'ai trop longtemps attendu mon prince charmant... Enfin prince ou forgeron, mais vous aurez compris le principe. Techniquement ils se sont rencontrés à Londres, pendant les études de ma mère et elle n'est jamais rentrée. Ma mère était une femme particulière. Peut être à cause de son choix si particulier. Je n'ai jamais remis en question l'amour qu'elle portait à mon père, il était brulant. Et elle s'est brûlée. Elle était de ses princesses qu'on ne traîne pas dans la boue. Elle n'était pas faite pour vivre à la Rosehaie. Et à cause d'elle, moi non plus.

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. »

Ce n'était pas si tragique. Ce n'était pas comme Camus. Mais pas loin. Il n'y avait pas d'asile, pas de télégramme. Juste un mot de papa, sur la table, quand je me suis levé, un jour. « Maman est morte, rejoins moi à l'hôpital. » Il n'y avait pas de doute, c'était aujourd'hui. Elle m'avait forcée à lâcher mon livre et à dormir la veille et aujourd'hui elle ne le ferait plus. J'avais dû regarder la lettre étrangement. Je ne me souviens plus si j'avais pleuré. Surement, j'étais une gamine pleurnicharde... J'étais une gamine peureuse aussi. Mais à quatorze ans, on est plus une gamine. À quatorze ans on ne devrait plus être pleurnicharde, plus être trouillarde. Alors, je ne me souviens plus trop. On m'a dit qu'elle s'était suicidée et qu'on y pouvait rien, on nous a dit qu'elle était malade, dépressive on a dit. On ne m'a rien dit de plus. On ne m'a rien montré de plus. Je n'ai pas revu ma mère. La dernière image que j'ai d'elle c'est sa tête droite et fière, sa main gracieuse qui attrape mon livre et le ferme au pied de mon lit, ses lèvres sur mon front et son index qui éteint la lumière. Et moi qui boude. J'aurais aimé finir mon livre. Livre que je n'ai jamais fini.

Aujourd'hui je ne comprends plus. Mais à l'époque j'avais compris. J'avais compris parce que j'avais voulu. J'avais compris qu'elle ne puisse plus vouloir vivre ici. Ici c'était intenable, pour une femme comme elle. On n'était pas une princesse dans la boue. J'en sais quelque chose, on me haïssait à cause d'elle. On m'appelait princesse. Et dans leur bouche ce n'était pas beau. Sous leur dent c'était méchant. Trop tôt j'avais eu des mains qui frôlaient mes cuisses, en l'honneur de son surnom, qui soulevaient un peu trop ma jupe, quand je ne faisais pas attention. Je n'aimais pas sortir. J'habitais au dernier étage et je descendais rarement de ma tour, seulement pour aller à l'école, à la bibliothèque ensuite. J'avais l'habitude de marcher mes yeux regardant mes pieds et de pleurer. Pleurnicharde. Ça n'aidait pas mon cas, les plus teigneux me poussaient. Je me serais vue, je me serais poussée aussi. Histoire de dire, secoue toi, relève toi, t'es plus forte que ça. Mais je ne l'étais pas. La seule force que j'avais eu c'était de prendre mes jambes à mon coup après le coup de trop, l'approche de trop. Au fond ce n'était peut-être rien. Il aurait pu y avoir pire. Il y avait eu pire, après. Mais sur le coup j'avais cru que je la rejoindrais, si je continuais comme ça. J'avais senti leurs doigts, trop près, sur ma joue, trop près, de ma culotte, j'avais crié, j'avais gesticulé, ça avait dû les surprendre, j'étais réputé pour pleurer. Je m'étais pris un coup de poing dans l'arcade, j'avais senti ma peau s'ouvrir un peu, le sang couler, se mêler aux larmes. J'avais senti ma tête cogné le poing, j'avais cru tomber, mais je m'étais mise à courir. Et ils avaient dû avoir la flemme de me suivre. De toute façon ils ne m'auraient pas rattrapé, le soir même j'étais à Londres, dans l'underground, à réfléchir à ce que je pourrais bien faire.

Mais à seize ans, sans guère de sous, il n'est pas facile de penser à ce que l'on peut faire. Je n'avais pas l'étoffe d'une SDF, j'étais à peine débrouillarde. J'avais comme seule arme, des larmes de crocodile et une histoire à faire pleurer les grands-mères. Ah ! et franco-anglaise, j'avais pris l'habitude de parler français avec ma mère et bien que je ne l'avais guère parlé depuis deux ans, je me débrouillais encore suffisamment pour toucher la corde sensible d'une grand-mère française qui m'embarqua dans sa valise pour son retour en France. C'était le seul plan que j'avais trouvé, la seule idée qui m'était venue pour m'en sortir pas trop mal. Retrouver la famille de ma mère. Mon père et ma mère m'avait souvent répété qu'ils ne voulaient rien à faire avec nous, mais on me disait que j'étais mignonne et que mes yeux pleins de larme déchiraient le coeur du monde. J'espérais que ça suffirait, je n'avais guère d'autre choix finalement. Et ça avait suffit. Mieux, je n'avais même pas eu besoin de faire couler les larmes. Je n'avais pas mis longtemps à trouver les De Condé à Paris et alors qu'ils ignoraient même avoir une petite fille et que leur fille était morte, ils avaient été ravis de m'avoir. Mieux ils avaient commencé à s'occuper de moi comme de leur propre fille. La culpabilité fait faire des choses étonnantes. Du jour au lendemain j'étais passée de la « princesse » à une vraie petite princesse. Vêtement neuf et fête mondaine, mon histoire atypique et mon accent anglais en amusait plus d'un, mais j'avais été accueillie comme personne. Et j'avais rencontré Voltaire. Gentleman extraordinaire. Enfin il avait l'air. Il ne m'appelait pas princesse, mais ce n'était probablement pas tout ce qui faisait la différence. Ou alors c'était son allure de prince. Et je me suis faite séduire comme une bleue. Et qu'arrive-t-il aux gamines qui tombent amoureuses ? Et bien elle tombe. Lourdement. L'idylle n'avait pas tardé à s'érafler lorsqu'après quelques mois la languette avait tiré bleu. On dit que ça n'arrive qu'aux autres et puis ça vous tombe dessus... Et j'aurais dû m'en douter, je n'étais plus dans un monde où on tombait enceinte à seize ans bien brûlés sans qu'il ne se passe rien. Voltaire était majeur, ses parents lui avaient forcé la main pour qu'il prenne ses responsabilités, il l'avait fait avec sourire, j'aurais dû voir qu'il était faux. Mes grands parents avaient joint mon père pour obtenir une autorisation. Vu le compte en banque de Voltaire ça n'avait posé aucun problème. Mon ventre n'était pas encore rond qu'on était passé devant le prêtre, devant le maire et que le piège c'était refermé. Je passerais sur les neuf mois à devenir obèse. Je passerais sur l'accouchement. Je passerais sur toutes les larmes que j'ai dû verser. J'en ai presque honte aujourd'hui. Ce n'est pas possible d'être aussi faible. D'autant se laisser marcher sur les pieds... Peut être que Voltaire avait presque raison de finir par s'énerver contre moi, par me frapper lorsqu'il en pouvait plus. Je devais être chiante, insupportable même. Je me cognerais aussi si j'avais été à sa place. Toujours à pleurer et à geindre. Et le reste du temps à lire et à me taire. J'avais fini le lycée par correspondance. J'avais refusé de m'inscrire à l'université sous prétexte de m'occuper de Camille. Mais je n'étais pas faite pour être mère. Ça faisait trop longtemps que je n'avais pas vu la mienne. Il est probable que sans mes livres et Adonis, je ne sais pas ce que j'aurais fait. Peut être que j'aurais finit comme ma mère, un peu plus tôt. Parce que pour ça je n'aurais pas été faible. J'avais visiblement toujours été drôlement farouche lorsqu'il s'agissait de me foutre en l'air. Alors, Adonis m'avait surement empêché de faire une connerie. Adonis, le grand-frère de Voltaire. J'aurais surement pas dû. Mais c'était bien trop tentant, ils avaient les mêmes yeux et ça s'arrêtait là. Il était plus âgé, plus mature et moins violent. Parfois il arrêtait Voltaire et ça gueulait, pendant plusieurs minutes, je les soupçonnais de se battre. Mais faiblarde comme j'étais, je ne bronchais pas et surtout je ne m'interposais pas, j'allais m'enfermer pour lire, jusqu'à ce qu'Adonis resurgisse quelque part. Et c'était con, Adonis et moi. C'était ce foutu syndrome du prince charmant. Et moi j'étais toujours coincé dans mon putain de rôle de princesse. Et lui il débarquait sur son irréel cheval blanc, avec ses yeux trop beau. Forcément c'était inévitable. Lui il devait avoir un truc pour les demoiselles en détresse, parce que sans ça je ne vois pas comment il aurait pu me supporter. Même moi je ne me supportais pas. Alors, il m'avait aidé à me supporter, il m'avait surtout aidé à me débarrasser de Voltaire. Et après plusieurs années, j'avais dix-neuf ans et j'étais divorcée. Et puisque j'étais libre, j'avais fait ce que je faisais de mieux, j'avais pris la fuite. J'avais laissé Adonis avec un merci du bout des lèvres. J'avais laissé Camille à mes grands parents et j'avais disparu.  
J'avais hésité, à partir, à déguerpir, à ne plus jamais revenir. Mais la vérité c'est que je ne suis pas une si grande aventurière et qu'en dehors de l'Angleterre et de la France je ne savais pas vraiment où je mettais les pieds. Oh bien sûr il y avait surement mille villes en France et en Angleterre pour accueillir mes valises. Mais en dehors de Rosehip et de Paris, je ne savais plus vraiment où j'allais. J'étais restée donc. Je m'étais fait petite, j'avais quitté les beaux quartiers, de toute façon mon salaire de serveuse me permettait peu. Et j'avais joué à l'étudiante pendant un temps. La Sorbone semblait être un rêve éveillé, mais pourtant à 19 ans je détonnais déjà avec toutes les âmes qui hantaient ses couloirs. Je n'avais pas eu la fois de m'inscrire, pas vraiment l'argent non plus, je n'avais pas envie de me battre avec le gouvernement français pour une bourse, je n'avais même pas envie d'expliquer ma situation. J'étais fatiguée. Fatiguée de me battre contre du vent pour vivre, fatiguée que tout me semble si difficile jusque là. Dans les romans, c'était plus simple, souvent. Tu vis, tu meurs et entre les deux, si tu affrontes des merdes tu le fais avec courage et avec magnificence, parce que quand même, tu es un héros. Oui, c'était définitivement trop simple. Je n'en voulais pas. Enfin je n'y arrivais pas à cette simplicité. Alors, j'avais opté pour l'option touriste, pour l'option fantôme du dernier rang, pour l'option fausse étudiante plus assidue que les vrais. Enfin personne ne le savait au final, que je n'existais pas dans les registres de l'école. Ma carte étudiante, je l'avais perdue, j'étais discrète, je ne faisais que passer, quand je ne suivais pas les amphis qui m'intéressaient, je traînais dans la bibliothèque. C'est surement comme ça qu'il m'a remarqué. À être partout, surtout là où je ne devais pas finalement. Forcément je ne faisais pas gaffe, lorsque je regardais les thèmes des amphithéâtre je ne faisais pas attention à l'année que je prenais ou à quoique ce soit. Alors, j'étais partout, en L1, L2, L3, Master 1 et même Master 2, sans aucune cohérence. Peut être que finalement ça se remarquait. Enfin surement même. Dans ma tête soit disant supérieur tout prenait sens. Si je prenais des cours plus ou moins au hasard je ne voyais pas les mêmes élèves, je ne voyais pas les mêmes professeurs... Professeurs qui de toute façon ne retenaient jamais la tête de leur élève. Enfin mon plan était infaillible. Et de toute façon on ne pouvait pas m'interdire de suivre les cours, comme ça, pour mon plaisir. Mais c'était comme ça que j'étais tombée sur lui. La première fois qu'il est venu m'aborder j'ai eu un raté. Ça ne faisait pas trois mois que je suivais les cours et je pensais que c'était fini, que j'allais devoir arrêter. Mais il a sourit, il m'a regardé avec considération et a dit une phrase qui m'a fait pouffé de rire et a déclenché des regards sombres dans la bibliothèque. « Je m'appelle Tristan ! » Ça avait été plus fort que moi, au fond les résidus de princesse rougissait de plaisir, à l'extérieur je pouffais sans discrétion en prévoyant ce que j'allais lui répondre. J'avais tendu la main « Iseult ! » J'avais coupé court, Iseult-Marie c'était long... Et ça faisait longtemps que je ne me faisais plus trop appeler Pandora. Il m'avait regardé comme si je me foutais de sa gueule, j'avais sortie ma carte d'identité, marqué noir sur bleu, Iseult-Marie, il avait serré ma main dans un sourire. Tout de suite n'imaginez pas la romance à deux balles. Tristan et Iseult, j'étais plus maligne que ça, il était plus brillant que ça. On suivait parfois ensemble, au fond de la classe, les cours que nous prenions en commun. Le reste du temps, il était mon chargé de TD souvent, lorsque je prenais des cours de licence. Et puis on passait des heures silencieuses face à face, dans la bibliothèque à lire et à jouer avec nos pieds, pour déconcentrer l'autre. Tristan et Iseult c'était con. Bien plus con que l'original, bien moins romantique. Aujourd'hui encore je ne saurais pas trop dire ce qui se tramait. Parfois j'ai l'impression que c'était un rêve. Il faut dire qu'un jour il a juste arrêté de venir en cours, à la bibliothèque... Un jour je ne l'ai plus retrouvé. Alors, forcément j'ai cru à un rêve. Il était le seul avec qui je discutais à l'université, avec qui je vivais presque et j'avais l'impression que tout était clair. Tristan et Iseult, c'était forcément quelque chose que j'avais inventé. Un ami imaginaire, une foutue perfection, réminiscence d'une adolescence bafoué dans un quartier pourri, dans un mariage douteux. Et comme tout bon rêve, le réveil est douloureux.

Le rêve envolé, Paris m'étouffait. Peut être que je réalisais enfin. Je réalisais le monde, je réalisais la solitude. Je réalisais doucement ma propre stupidité. Et je ressentais l'horreur. L'horreur des quelques cicatrices que j'avais gardées des coups particulièrement violent. L'horreur des plaies mentales qui elless ne cicatriseraient peut être jamais. L'horreur des rêves qui s'effondrent. C'était à vomir. À ce taper la tête contre les murs, à vouloir tout déchirer. Déchirer la vie, lui en faire baver. Avec les années, avec les échecs, les déceptions, j'avais la colère qui grimpait en moi, qui grondait en moi. C'était une amie fidèle - la seule - qui hurlait de haine dans mes tripes. J'avais pris le premier train gare de Lyon. Le moins cher aussi, enfin le premier billet que j'avais trouvé en somme. J'avais décidé de prendre l'air, de ne plus avoir peur de ce que je ne connaîtrais pas. À rester dans ce que je connaissais, je me dégoûtais de ce que je devenais. Le temps d'une pause cigarette inattentive je m'étais retrouvée bêtement sur le quai des Arcs Draguignan. J'avais haussé les épaules, presque satisfaite et j'avais pris la direction de la ville et du café le plus proche, où je pourrais lire dans mon coin. Ça devait être un nouveau départ, une nouvelle vie sous le soleil du sud. Plongé dans mes pages, ça commençait bien. À l'argent, à la vie, je réfléchirais après. Après que le gros balourd qui vient d'oser m'appeler princesse cesse de me faire de l'ombre. J'avais légèrement tressaillit à l'évocation de ce surnom, subitement replongé dans mes trop jeunes années, mais j'avais gardé mes yeux sur mon livre. Il avait recommencé, je n'avais pas bougé. Il finirait par se lasser. Mon nouveau départ ne s'embarrassait pas de lourdaud de bar. Et puis j'avais senti sa main sur mon bras et j'avais relevé les yeux, eu un mouvement de recul. J'avais du avoir l'air apeurée puisque le lourdaud c'était pris un pin venant de nulle part. Enfin nulle part résidait en un jeune deux fois plus fin que le balourd en question. En un jeune des quartiers pauvres probablement, il ressemblait à ceux qu'on pouvait croiser à Rosehip. Enfin, en moins con et plus chevaleresque. J'étais restée assise sans bouger et j'avais regardé. J'avais regardé jusqu'à ce que le barman nous sorte, le lourdaud, le gavroche et moi. L'idiot avait pris la tangente et moi j'étais restée conne. Restée conne à murmurer des merci convaincue mais peu fière. Bien sûr je le remerciais, mille fois et dans les années qui suivraient j'aurais l'occasion de le remercier encore, mais sur le coup mon nouveau départ semblait rater. J'attirais les emmerdes et j'étais incapable de me défendre. Artémis, comme il s'était présenté en réponse au merci. J'avais eu envie de rire. Envie de rire de ses parents qui avaient des goûts aussi douteux que les miens. Et je n'avais pas eu le droit à un nouveau départ. Enfin sur le coup je l'avais cru. Il avait beau ressembler à tous les autres, il avait beau avoir ses airs de connards des bas quartiers, il avait été différent. Différent au point que je me casse la gueule encore une fois. Différent au point que j'oublie mon rêve romanesque avec Tristan. Différent au point que je le laisse laver dans ma mémoire les traces de Voltaire. Différent au point que j'en oublie encore la désillusion et tout le reste. Mais dans ces cas-là, la fin de l'histoire, on la connaît non ? La différence s'estompe un peu, on me passe la bague au doigt et j'oublie que je ne suis pas une princesse et puis plus rien. Volatilisé. Ça ne ressemblait en rien à Tristan. Arty il avait tout laissé, toutes les traces de lui, partout sur moi, au creux de mon coup, au creux de mon âme, à l'intérieur de toutes les cicatrices normalement refermées. Partout chez lui. Il était resté vivace dans mon angoisse, trop présent dans mes larmes. Et la colère m'avait retrouvé. Et j'avais tout incendié, tour brulé, tout déchiré de moi. Trop vieille et trop jeune. Trop conne, trop belle. Pas de nouveau départ.  
On fond c'était presque drôle de voir comment tout avait recommencé. Oh bien sûr j'avais grandis et j'avais arrêté de pleurer. Je m'étais endurcie, dieu merci. J'avais fini par oublier les idéaux de princesse et j'avais appris que si je voulais garder la tête haute je n'avais qu'à être une battante. Et pour être une battante, je savais me battre. Oh bien sûr j'étais une fille. Plutôt frêle même. Mais tu crois quoi le gros marshmallow ? Que parce que mes deux bras ne fond même pas l'épaisseur de ton bras droit je ne peux pas te démettre ? À main nu peut être pas, mais met moi n'importe quoi entre les mains et je te fais danser. Et puis dans tous les cas, je suis une fille, j'ai des dents, j'ai des ongles et vous n'avez pas des peaux de crocodiles. Alors, aujourd'hui je n'ai plus besoin d'aide. Et tant mieux. Parce que l'aide qu'on m'apporte est vicieuse. Elle t'aide un temps et elle t'effondre. Merci Voltaire, merci Arty... Il n'y avait qu'Adonis qui était un putain de prince sur son cheval blanc, mais je ne suis pas faite pour ses histoires là. Enfin, c'était il y a deux ans. Et ce n'était pas un télégramme. Mais un coup de fil de la police. J'avais appris à ne pas aimer les coup de fil de la police. Déjà je me demandais toujours comment il avait trouvé mon numéro de téléphone et je me promettais d'en changer... Et je me demandais toujours si ça ne me concernait pas. Moi, ou plutôt Arty. Je ne devrais pas m'occuper de son cul, mais c'était plus fort que moi, en voyant le numéro des flics s'afficher j'avais eu un sursaut. Et puis j'avais réalisé. Ce n'était pas la police Française, mais l'Anglaise... Ça faisait pourtant un moment que je n'avais pas mis les pieds en Angleterre... « Mademoiselle Fawkes ? » J'avais hoché la tête, murmuré un oui convaincu mais presque silencieux. « Ici le département de police de Rosehip. » J'avais fermé les yeux, je voyais presque déjà ou ça allait finir. Rosehip, je n'avais plus grand-chose là-bas. Et le plus grand-chose était en train de s'amenuiser. « Nous avons retrouvé le corps de votre père... Il était porté disparu depuis quelques jours... Un règlement de compte dans la Rosehaie. » Un règlement de compte dans la Rosehaie... Je pariais que c'était ce qu'il disait toujours. « Un règlement de compte... C'est un nom de code pour dire que vous ne chercherez pas qui est le coupable... » Je ne posais pas la question, je la connaissais cette foutue réponse. Le département de police était de l'autre côté des barrières et le coupable il savait qui s'était, le coupable c'était la Rosehaie. « Mademoiselle... » Je n'avais guère envie de les entendre parler. Je ne voulais même pas de leur condoléance. Ça avait dû les faire chiez de trouver le corps, ils auraient surement préféré qu'il reste enterré ou noyer ou peut importe, qu'il ne ressorte jamais. « Ne gaspillez pas votre salive ! Je viendrai chercher le corps ! » Et j'avais raccroché. Une heure plus tard j'avais claqué mes maigres économies pour un billet pour Londres. Un paquet d'heure de bus et je serais à Rosehip. J'en rêvais.

Et voilà que j'étais de retour comme en l'an mille. Enfin non. C'était plus compliqué que ça, ou beaucoup plus simple. J'avais changé, beaucoup changé, peut être trop. Pour le mieux en tout cas. Je m'en persuadais. De toute façon là-bas, il n'y avait personne que j'appréciais qui pourrait me persuader du contraire. En dix ans, j'avais réussi à grand moyen de coup, abandon et autre tracas à me fabriquer une armoire bien solide. J'avais changé, physiquement aussi. Je ne ressemblais à rien à l'adolescente chétive et apeuré qui avait quitté Rosehip en premier lieu. Alors, comment m'avait-il reconnu au premier coup d'oeil ? Moi je ne l'avais pas fait. Il fallait dire que je ne les avais jamais vraiment regardé. Je me souvenais des coups en douce dans la rue, des mains, des gestes déplacés et des mots, mais des visages, je n'avais jamais du regarder que le sol de Rosehip. Ils avaient dû s'en douter peut être, avec l'annonce de la mort de Gale Fawkes. Ils avaient dû se douter que je reviendrais, ne serait-ce que pour nettoyer tout ça. L'enterrement avait tous juste finit que je m'étais retrouvé poussé contre un mur avec une haleine désagréable qui me soufflait sur le visage. Haleine chargée et trop alcoolisé. Peut être que de tout ce que j'avais côtoyé en France la misère de la Rosehaie ne me manquait pas tant que ça. Et puis l'habituel « princesse » insultant, suivi d'un nouveau « tu nous as manqué » qui m'indiquait plutôt le contraire. Ou peut être que je leur avais manqué, peut être qu'à la Rosehaie j'avais été la seule abrutie qui préférait pleurer que se battre. Un coup de genou bien placé, il se plie, un coup dans le nez, il porte sa main à son visage je saisis le poignet et lui tord dans le dos, je le plaque contre le mur, je sors une fine lame de ma ceinture. Oh à peine plus qu'un opinel, mais à votre avis on peut faire combien de coupure en une minute ? « Tu m'appelles encore une fois princesse je joue au morpion sur toi » j'insistais sur la menace fumeuse en piquant sa main de la lame, laissant échapper un peu de sang. Il grogna, essaya de rire, « Hum... Trigresse ! » Du coup vif j'entaillais son bras « Celui là aussi tu peux oublier, sinon je vises la veine, c'est Pandora, l'idiot ! » Et s'il pouvait aller le dire aux autres ça m'éviterait de saigner la Rosehaie. Je n'en ai pas envie, ce n'est pas pour ça que je suis revenue. Pas pour ça que j'ai envie de rester. « Oh et si jamais tu sais où tu trouves quoique ce soit concernant la mort de mon père, tu viens me le dire et si c'est toi et bien je commencerais déjà à prier ! » Et j'avais tourné les talons. Je penses qu'ils avaient mis quelques secondes avant de bouger et de réagir, ça ne devait pas lui arriver souvent de se faire mater par une princesse. Je ne savais pas bien si afficher mon désir de vengeance était une bonne idée, mais dans un quartier comme la Rosehaie tout se savait. C'était une espèce de famille malsaine, odeur de peur, d'urine, d'overdose, de violence et de vengeance. On s'y habituait toujours. On apprenait même à l'apprécier.

Et je n'avais pas trouvé. Deux ans. Deux ans pour moi c'était presque devenu long, c'était presque la durée de mon mariage, c'était clairement la durée de mes fiançailles - d'accord si on compte la romance avant, on y est pas tout à fait. Deux ans c'était long. Deux ans que j'étais revenue et deux ans que je pédalais dans la semoule. Deux ans que je criais ma rage de vaincre à qui voulait bien l'entendre. Deux ans que j'avais surtout l'impression de parler dans le vide. Je ne sais pas si c'est parce que je suis partie, parce que j'ai vu autre chose, parce que je n'ai pas vu mieux, parce que j'ai peut-être vu pire... Je ne sais pas. Je ne les suis pas. Je ne comprends pas leur vulgarité en l'air, leur pseudo discrétion, leur manière de parfois baisser les yeux devant les riches qui les ignorent ou les méprisent. Ils espèrent que ça va aller mieux ? Sans rien faire ? Ou ont-ils tous baissé les bras ? Alors, ils continuent tous leur petite vie médiocre et le seul domaine dans lequel ils excellent c'est pour dissimuler les saloperies, les meurtres et les conneries. Deux ans que je n'ai aucune piste. Ou que j'en ai trop... Ils sont dix, vingt, trente capable de l'avoir assassiné, aucun à l'air particulièrement plus coupable que l'autre, ni même plus innocent. Même les riches s'y mettent, à venir planquer leur linge sale dans la Rosehaie... C'est pratique pour ça, la fournaise, ça brule tout. J'espère au moins qu'ils ont pensés au potentiel retour de flamme, parce que je ne lâcherais rien. Je ne lâcherais pas mon père, je ne lâcherais pas la Rosehaie, je ne baisserais pas les bras. Deux ans déjà, je peux surement continuer un peu, on finira bien par m'entendre.