Je suis donc née à Rose Hip le 5 janvier de l'année 1989. Mon père est Childéric Rosenbach - je vous épargne tous ses autres prénoms qui font très long sur sa carte d'identité - et a été marié à ma mère, Elizabeth Hamilton, quelques années avant ma naissance. Quand j'étais petite, et que je croyais encore aux contes de fées avec les princesses et les chevaliers servants, j'étais persuadée que mes parents étaient fous amoureux l'un de l'autre, et que mon père avait enlevé ma mère d'une haute tour dans un coin d'Ecosse. Que nenni, mes amis. Ce fût une grande désillusion que de me rendre compte qu'ils ne s'aimaient pas du tout. Oh, ils ne se haïssaient pas non plus, mais leur mariage était loin d'être un mariage d'amour. Ils s'apprécient sûrement pour leurs qualités intellectuelles et pour leur richesse respective, mais ils ne s'aiment pas. Ça non. J'en ai pris conscience lorsque j'avais environ douze ans, et que j'ai surpris ma mère dans sa chambre avec un homme, alors que mon père était en voyage d'affaire. Je ne sais même pas qui c'est. Mais ce n'est pas mon père, et c'était suffisant pour que je perde pas mal de mes illusions quant à l'amour parfait, et blablabla.

Je n'ai cependant pas eu une enfance malheureuse. Mais il ne faut quand même pas dire que mon enfance a été particulièrement heureuse et épanouissante. Je n'ai pas à me plaindre, mais je n'ai pas de quoi être transportée de joie quand je me souviens de mon enfance. Mes parents m'ont toujours correctement traitée, et m'ont donné tout l'amour dont ils étaient capables - c'est à dire pas grand chose, mais quand même. C'est à dire que, dans leurs esprits, l'enfant est destiné à succéder, hériter, et perpétuer le nom. C'est plus un investissement qu'un bout de sa chair, que le sang de son sang. Ça aussi j'en ai pris conscience plus tard. J'ai donc reçu toute l'éducation nécessaire pour hériter de la prestigieuse famille Rosenbach. Je sais que mon père aurait aimé avoir un garçon, mais il a eu une maladie qui l'a rendu stérile après ma naissance. Pour mon malheur, j'ai donc été fille unique. Mais je me rend compte, maintenant, que c'était leur façon à eux de m'aimer ... Ils voulaient me donner toutes les chances de réussir dans ce milieu qui était le leur, ils étaient fiers de moi. J'ai sûrement tout gâché, mais après tout, ils ne s'étaient jamais intéressés à ce que moi je voulais.

J'ai toujours été la petite fille sage. Maxine gentille, Maxine belle, Maxine parfaite. J'étais telle que mes parents voulaient que je sois, en apparence, du moins.

J'ai commencé à fuguer à l'âge de treize ans. Le soir, en douce, je filais du gigantesque manoir - dont je connaissais tous les passages - pour filer dans le quartier à la tombée de la nuit. Je ne prenais pas beaucoup de risques : ce n'est pas à Rose Hip qu'il allait lui arriver quelque chose. Mais la Rosehaie m'a toujours attirée. C'est vrai, mes parents voulaient tellement la voir disparaître, que je n'avais qu'une envie : la découvrir. Ce n'est que deux ans plus tard que j'ai enfin eu le courage de poser mes orteils dans ce quartier, accompagné d'un autre ado qui, comme moi, ne pouvait plus se voir Rose Hip en peinture. Je crois que ce fût la meilleure soirée de ma vie. Je ne me rappelle pas de tout, tout est flou dans ma tête (mais ce n'est pas parce que j'avais pris de la drogue, je vous jure !). J'ai alors commencé à y aller, de plus en plus régulièrement, ne pouvant plus me passer de cette ambiance et de cette liberté qui imprégnait chaque parcelle des ruelles.

Pourtant, j'étais bien contente de regagner mon lit douillet... Je n'ai jamais eu le courage de ne pas revenir à Rose Hip.

Puis au fur et à mesure que je me rendais à la Rosehaie, j'ai fini par parler avec les personnes qui s'y trouvaient, par rentrer dans les bars, par boire, par fumer, par me droguer. Je n'étais pas une junkie, juste une gamine qui voulait s'amuser et qui découvrait une vie dont personne ne lui avait jamais parlé.

Parallèlement à cela, j'allais entrer à l'université entamer les études de médecine que mes parents voulaient que je fasse. Ce que j'ai fais, ce que j'ai réussit. Avec brio. Mais je continuais, parallèlement, à me rendre toujours plus à la Rosehaie, qui m'attirait, sans que je sache pourquoi. C'est là que j'ai rencontré Sven. Je ne pourrais pas vous dire comment je suis tombée amoureuse de lui, mais je le suis désormais. Et je crois que je le serais toujours.

Je venais de finir mon année, ma dernière année, à l'université, et j'avais eu mon diplôme. Mes parents avaient fait une gigantesque fête, avec pleins d'inconnus. J'avais réussis à m'éclipser pour me rendre à la Rosehaie, où j'ai retrouvé Sven, et d'autres. Ce soir là ... est flou. Vraiment flou. C'est même un trou noir. Je me souviens de l'alcool, de la drogue qui tournait, de la drogue que j'ai prise, et puis plus rien, jusqu'au lendemain matin où je me suis retrouvée dans un lit, avec Sven, un bout de papier qui traînait sur le sol et qui indiquait que j'étais mariée. Mariée à Sven.

Pour la première fois de ma vie, j'avais découché. Ou plutôt, mes parents l'avaient su. Et quand je suis revenue à la demeure familiale, ils m'attendaient. J'avais tenté de rentrer discrètement, mais sans succès. J'avais encore la tête lourde de l'alcool, et les narines presque blanches. Leur colère a réveillé la mienne, et la dispute a été ... assez mouvementée. Un des vases du salon a d'ailleurs périt ce jour là. Une heure plus tard, je me retrouvais à la porte de chez moi, une valise faite à la va vite, et la porte de la maison dans laquelle j'avais grandi qui se refermait derrière moi. Mes parents me coupaient les vivres, comme je n'avais pas accepté de signer un papier pour le divorce. Je leur avait tenu tête, je leur avais dit que je l'aimais, je leur avait tenu tête...

C'est comme cela que j'ai fini par revenir à la Rosehaie, pour y vivre cette fois-ci, toquant à la porte de Sven pour qu'il m'héberge. Il était mon mari, après tout. C'est comme cela aussi que j'ai fini par lui demander de me trouver un travail de strip-teaseuse. Cela combinait deux désirs : celui de danser, ce que j'adorais faire par-dessus tout, et celui de jouer avec les nerfs de mes parents, qui allaient être au courant, d'une manière ou d'une autre.

Et maintenant que je vis à la Rosehaie depuis quelques temps, que je me suis plus ou moins faite à cette vie, Sven va voir ailleurs ... Mais je suis bien décidée à ne pas me laisser faire. ll ne peut pas m'abandonner, il n'en a pas le droit, il doit rester. Pour moi. Et s'il ne reste pas pour moi, il restera peut-être pour son enfant ...