Il était un petit garçon heureux, le jour où son frère naquit. Il n'y comprenait pas grand-chose mais, il se laissa soulever par les bras de son père qui lui permit de voir son petit frère. Ce fut l'un des événements les plus importants de sa vie. Après cette arrivée spontanée dans sa vie, son existence continua tranquillement son chemin. Edimbourg était une ville paisible et sa famille n'avait rien à n'envier à personne. Son père détenait un des plus grands cabinets d'avocats du pays et sa mère servait de modèle pour quelques maisons de coutures. Malgré des emplois du temps chargés les enfants Petterson n'eurent pas à souffrir de l'absence de leurs parents qui se montraient aussi disponibles que possible.

C'était une belle existence en perspective pour le jeune Aidan qui regardait toujours d'un oeil admiratif le bâtiment qui renfermait les bureaux de son père. Pour lui sa destinée était toute tracée, il irait reprendre l'activité de son père. Les années passèrent, Aidan fréquenta les écoles les plus privées d'Edimbourg et rencontra des personnes importantes aux noms compliqués. Il était doué à l'école, obstiné à devenir le meilleur. Cette idée d'excellence ne le quitta jamais.
Sous la pluie fine et régulière d'Edimbourg il développa une certaine passion pour l'eau. Dès qu'il le pouvait, il se vautrait dans l'herbe sale pour laisser couler l'eau fraiche sur lui. Ses parents pallièrent à cette passion en l'inscrivant à la natation. Ô joie, Ô Révélation. Il s'acharna, cette fois encore à exceller dans ce domaine qu'il pratiquait avec passion, plaisir et obstination. Il aimait avoir un but, se fixer des objectifs était pour lui le moyen de ne pas se laisser aller.

Très jeune il capta cette instabilité qui le caractérisait, il aimait aller d'un point à un autre sans crier garde, sa famille a toujours eu du mal à le suivre. Il pouvait faire mille choses en même temps et quelques secondes plus tard tout laisser tomber. Alors, les objectifs qu'il se fixait étaient une stabilité dont il ne pouvait pas se passer pour rester serein. Son frère servait aussi de pilier, même étant l'ainé il le prenait comme exemple et vice versa, les deux garçons étaient proches. Cependant, ils étaient assez différents, le cadet des Peterson était plus indépendant, moins encré dans les règles. Il devint un garçon à problèmes très vite cherchant les ennuis à chaque occasion. Aidan s'attelait à protéger ce petit être qu'il avait vu naître tâchant d'imposer un respect particulier. Il a toujours été le seul écouté par son frère. Le seul qu'il avait un peu d'influence sur ce caractère de feu pour le remettre quand il le pouvait sur les rails.

Il resta chez ses parents jusqu'à obtenir le droit d'exercer son métier d'avocat. Avec l'âge, les parents laissèrent un peu d'intimité aux garçons Peterson. Aidan ne se priva pas pour organiser de petites soirées ou pour ramener quelques filles pour passer la nuit discrètement. La faculté fut un peu plus difficile question étude pour le jeune homme habitué à être dans les meilleurs. Après quelques années de labeurs il détint enfin le fameux diplôme aux allures de saint-graal. Il fut par la suite embauché par son père. Le poste qu'il détenait lui allait parfaitement, c'est à ce moment-là qu'il quitta son domicile pour rejoindre un des immeubles les plus huppés d'Edimbourg.


Pas loin de chez lui, se trouvait une boutique spécialisée dans le domaine de la photographie. Il passait régulièrement devant pour se rendre à la piscine. A chaque fois il ne pouvait s'empêcher de ressentir cette petite attirance envers la vitrine. Attirance qui le fit céder. Il acheta son premier appareil photo. Au départ les photographies relataient plus d'un amusement qu'une réelle passion. Puis, il se mit à se promener dans les rues et à chercher de nouvelles prises vues, différents lieux. Ses photographies s'amélioraient de prises en prises. Et il chercha des modèles, ses potes au départ pour la déconne puis il s'intéressa aux filles qui s'y prêtaient très bien. C'était des amies ou des petites amies éphémères dont il aimait capter les expressions.

Puis vint le fameux jour de la rencontre. C'était inévitable, tout les réunissait. Ce soir-là il attendait un modèle. Le jeune homme avait décidé de capter les émotions des autres avec son appareil. Pour donner le ton dès l'arrivée de cette personne dont le nom lui échappait par intermittence, il avait décidé de la photographier à l'ouverture de la porte. Petit sourire coquin aux lèvres, il se leva quand la sonnerie retentit enfin dans son appartement. Une main sur l'appareil, l'autre sur la poignée, la pupille collée sur le viseur il prit sur le fait : La voisine. La lumière déstabilisa la jeune femme tandis qu'il se confondit en excuse en ayant nullement l'intention de supprimer ce cliché imprévu.


La voisine venait chercher un tire-bouchon. « C'est original » s'exclama-il avant de lui tourner le dos pour récupérer dans sa cuisine le dit objet. « Généralement c'est du sel ou sucre » enchaîna-t-il en lui glissant son dû dans les mains. Rien de plus, pour le moment. Puis, ils vinrent à se croiser la seconde fois pour qu'elle lui rende sa propriété. Puis une troisième fois, sous un faux prétexte et ainsi de suite. Ils se mirent à se raconter tous leurs tracas du quotidien, un coup chez l'un, un coup chez l'autre. Ils devenaient progressivement amis, puis confidents. Elle était le rayon de soleil qui illuminait chacune de ses journées.

Kaya Sullivan. Il ne savait pour quelle raison son nom le ramenait inéluctablement à ce montre bleu et violet dans l'animation Monstres&co. Il l'affubla finalement du surnom de Sully, lui offrant au passage une peluche à l'effigie de ce personnage. Elle faisait du droit, comme lui jadis. Il aimait l'aider, lui donner des conseils. Petit à petit, le sourire de la jeune femme creusait une faille dans son cœur. Leur relation aux allures fraternelles se transforma en toute autre chose. De la tendresse et du désir s'étaient glissés dans leurs mots et dans leurs gestes.


La soirée commençait bien, Aidan était sur une affaire harassante qui opposait deux  géants d'Edimbourg. Il était chez elle, quand quelqu'un se présenta à la porte. Au début il n'était pas du tout alerté mais, il déglutit rapidement quand il reconnut le visage rougit de colère de son adversaire de plaidoirie. Quand il mentionna Kaya comme sa fille les yeux du jeune homme firent un allé retour entre cet homme et la jeune femme qui semblait bouleversée. Ne désirant pas faire plus de dégâts il quitta l'appartement après quelques mots chargés d'écœurement.
C'était à elle de choisir. Mais, quelque chose de nouveau était venu se loger dans son coeur après cette rencontre. Les choses se passèrent comme d'ordinaire bien que la lassitude commençait à peser dans l'esprit du jeune homme.

La mort de son père fut l'épreuve de trop. Tout était devenu trop lourd à porter. L'enterrement fut long et triste. Son frère quitta la ville le premier, Aidan trouvait ça tout aussi courageux que lâche. L'angoisse le gagnait à chaque fois qu'il restait avec sa mère, à se murer dans un silence de deuil. Kaya avait trop misé sur lui, elle était prête à se couper de sa famille rien que pour partager du temps avec lui. Le méritait-il vraiment ? L'aîné des Peterson n'en pouvait plus. Lui qui devait hériter du monstre de son père, il vendit ses parts rapidement.

Il fallait qu'il s'en aille. Londres ne lui disait rien. Il cherchait, tournoyait, ses photos avaient un gout triste et amère. Puis la carte postale. Il ne savait pas combien de temps il était resté devant cette image de Rose Hip, debout comme un imbécile à se perdre dans chaque pixel de la photographie.
Il fit une lettre à sa mère qui avait remonté la pente, lui expliquant que pour lui ici ce n’était plus possible, qu’il ne s’y retrouvait plus. Le lendemain il emporta un sac à dos, comportant un condensé de ses affaires indispensables à sa nouvelle vie et quitta son appartement sans un mot, sans aviser personne, il ne lâcha même pas le bail, ne se préoccupant pas de ce détail.

Il s’arrêta quelques minutes devant la porte de Kaya. Observant cette devanture lisse qu’il avait si souvent franchi. Savoir lui ferait surement plus de mal que s’il il disparaissait. La coupure serait plus nette et il n’avait pas besoin qu’elle essaye de le retenir. Son cœur se déchira en deux quand il s’éloigna d’elle, pour rejoindre Rose Hip et y mener une nouvelle vie.