Deux semaines. Deux semaines interminables. C'était le temps qui s'était écoulé depuis le moment où Elijah avait revu - ou plutôt avait favorisé la rencontre - Abigail. Abigail Rose Town, cette nana qu'il avait eu dans la peau au lycée. Mais, comme dit la chanson, quand on est jeune, on est con et Lloyd avait dépassé les limites à cette époque. Certes, ses parents étaient en instance de divorce et c'était ça qui avait fait basculé l'adolescent d'être un gamin tout à fait normal à un petit con de première catégorie. A vrai dire, Andrea l'avait pas mal aidée elle aussi mais, s'il était devenu comme ça, c'était parce qu'il le voulait bien. En dernière année de lycée, il avait enchaîné les copines. On ne pouvait pas parler de conquêtes à cet âge-là, c'était qu'un gamin après tout. Mais un gamin qui savait user de son charme et les filles le lui rendaient bien. Seulement, la petite pompom girl d'un mètre septante-trois qu'était Abby, elle, elle avait un caractère bien trempé. Les avances de Lloyd n'avaient rien changé. Et puis, au final, ils sortèrent quand même ensemble mais bon, Elijah n'avait pas pu faire autrement que de faire, encore une fois, le con. Et qui plus est avec la meilleure amie d'Abby. Sur le moment, il n'en avait rien à foutre. Une de perdues, dix de retrouvées, c'était sa citation préférée. Et puis, au fil du temps, à force de grandir, il avait réalisé une chose: à ce moment-là et malgré ce qu'il avait fait, il était bleu d'Abigail. L'aimer était un grand mot, surtout à dix-huit ans, mais il l'avait réalisé. Maintenant, de là à aller la voir, il y avait tout un chemin à faire. Et puis, il était trop fier pour faire ça. Hors de questions !

A vingt-huit ans, Elijah avait mûrit, grandit et, heureusement, avait réalisé qu'il avait fait des conneries. Son but n'était pas de se racheter une conduite mais, bizarrement, plus il se rapprochait de la trentaine, plus il voulait faire son mea culpa avec sa vie passée. C'était peut-être con mais rentrer de nouveau en contact avec ses ex du lycée, c'était une partie de sa rédemption. Mais apparemment, vu comment elles prenaient les choses, elles n'avaient pas l'air plus traumatisées que ça et ça ne les avait pas empêchées de faire leur vie comme elles le voulaient. Elijah s'était-il fait prendre à son propre jeu ? On dirait bien. Mais s'il y avait bien une qui avait la rancune tenace, c'était bien Abigail. Ils s'étaient croisé et, bien qu'il avait tenté de lui parler, elle ne voulait pas. Pour elle, il lui avait fait assez de mal comme ça. Etonnamment, Eli en était tout retourné. Il ne savait pas qu'elle l'avait si mal pris. Enfin, il s'en doutait hein, mais de là à avoir les larmes aux yeux, et la rancune tenace même dix ans plus tard, non, certainement pas. C'était pour ça qu'il avait décidé d'aller la revoir. Cette fois-ci, à son travail.

Il savait, par une autre de ses exs, qu'elle était devenue institutrice et qu'elle enseignait à l'école élémentaire de la ville. Il était quinze heures et les enfants sortaient de l'école. Une dame d'une quarantaine d'années aborda le jeune homme pour savoir qui il cherchait comme enfant. Elijah répondit simplement qu'il souhaitait parler à "Mademoiselle Abigail". "Ah ouiii, Madame Abby. C'est la deuxième classe au fond du couloir à gauche". D'un geste de tête et d'un sourire, Elijah remercia la femme et emboita le pas vers la classe. Des enfants sortaient de la classe en lui disant au revoir. Ils devaient avoir tout au plus dix ans. Enfin, il n'y connaissait rien en gosses aussi. Arrivé devant la porte de sa classe, il vit qu'elle était occupée avec une petite fille, à son bureau. La petite, rassurée par après, alla vers la sortie de la classe et vit Elijah. Outch. "Tu cherches Madame Abby ? MADAAAAAAAME. Y'a un monsieur pour toi." Eh merde. Lui qui voulait y aller mollo, c'était raté avec cette gamine. Et puis, elle partit en sautillant, fière d'elle apparemment. Il regardait la petite partir, levant les yeux au plafond mais fût vite retiré de ses pensées. Abby était là, devant lui, les bras croisés, le visage dur. Bien entendu, il ne pensait pas qu'elle allait l'accueillir à bras ouvert. En un quart de seconde, elle avait fermé la porte et Lloyd avait posé sa tête sur cette dernière.

- "Abby, s'il te plait. C'était y'a dix ans, y'a prescription là. J'étais un gosse"

Et en dix ans, Elijah n'avait toujours pas compris que ce n'était pas parce que c'était il y avait longtemps que ça faisait moins mal. Bref, la psychologie féminine et lui, ça faisait deux.

 - "Laisse-moi t'expliquer..."

Elle attendait avec impatience la sonnerie qui annonçait la fin des cours, tout comme ses élèves qui ne tenaient plus en place depuis un bon quart d'heure. Elle devait bien avouer que le cours sur les soustractions n'était pas très passionnant, mais à cet âge, ils avaient simplement envie de rentrer chez pour pouvoir jouer. Elle enviait un peu ses élèves, la seule préoccupation qu'ils avaient était de savoir s'ils allaient avoir du chocolat pour le goûter. Depuis quelques jours, elle avait la tête prise par les nombreux papiers du divorce à remplir et les procédures à suivre pour aboutir aux signatures le plus rapidement possible. Oui, elle voudrait bien revenir à cet âge innocent. De plus, elle trouvait une certaine ironie dans le fait de travailler avec des enfants alors qu'elle reste anéantie par la perte du sien. Oui, elle avait ce choix pour éviter de se montrer égoïste pour une fois, mais elle avait commis un horrible meurtre à ses yeux. Le pire étant qu'elle ne devait pas en parler selon son avocat, elle courait un certain risque étant donner les antécédents de son mari.

La sonnerie annonça enfin qu'il était temps de terminer cette longue journée. « Bon, vous pouvez partir. Je vous souhaite une bonne fin de journée et à demain. » Dit-elle à la classe en essayant de recouvrir le bruit de chaises trainant sur le sol. Elle vit alors les têtes de ses petits élèves passés devant son bureau pour se rendre vers la sortie de l'établissement. Elle ne fût pas surprise en voyant une des élèves debout devant la table en bois où elle regroupait les copies de ses élèves, elle y avait le droit pratiquement tous les jours avec elle. « Tu as une question Mary ? » Demanda-t-elle en regroupant le paquet de feuilles avant de les glisser dans son sac en cuir. « Madame, je pourrais changer de place demain ? Mikey passe son temps à regarder sur ma feuille. » Elle se mit à sa hauteur pour la fixer dans les yeux, elle se voyait beaucoup en cette élève, enfin d'après les descriptions de sa défunte grand-mère. « Je vais plutôt le changer de place, il sera très bien devant moi comme ça, je pourrais garder un œil sur lui. » Une fois satisfaite, la jeune fille prit la porte sous les yeux doux de son institutrice, mais elle fut bien vite rappelée à l'ordre lorsque la voix de l'enfant résonna dans le couloir. Alors elle s'avança rapidement devant la porte avant de s'arrêter pour voir le visage de l'homme en question. Droite et les bras croisés, elle ne semblait pas du tout contente de la visite d'Elijah et lorsqu'il la regarda dans les yeux, elle n'hésita pas à claquer fortement la porte de la classe sur lui, se fichant très bien de ce qu'il allait dire. Une fois le verrou tourné, elle s'adossa contre la porte avant d'écouter les paroles du jeune homme. Elle eut une petit rire lorsqu'elle entendit le mot « gosse » sortir de sa bouche. « Un gosse ? Tu ne l'étais pas lorsqu'il s'agissait de coucher avec mon amie et on est dans une école, tu n'as rien à faire là. » Dit-elle d'une voix étonnamment calme. Elle ne le comprenait définitivement pas, cet homme restait un mystère de la nature ou plutôt une erreur de la nature étant donner ses actes envers le sexe féminin. Cependant, elle se doutait quand même de quel genre il était, elle avait épousé un homme comme lui après tout. « Vous êtes tous pareils, vous voulez tous la même chose et tu ne vas pas me faire croire que tu as une soudaine envie de te faire pardonner pour ne plus avoir de remords, c'est une excuse bidon même pour quelqu'un comme toi. » Rajouta Abby suite à la supplication de son interlocuteur. Elle se demandait pourquoi il cherchait tant à remuer le couteau dans la plaie, prenait-il plaisir à la voir souffrir ? Il était le même type qu'au lycée, il se fichait bien d'elle et elle en était profondément persuadée.

" Un gosse ? Tu ne l'étais pas lorsqu'il s'agissait de coucher avec mon amie et on est dans une école, tu n'as rien à faire là" Face à ces paroles, le jeune homme soupira, se prenant la tête dans les mains. Il savait que ça n'allait pas être aussi facile. Abigail n'avait pas changé. Elle était toujours aussi têtue, toujours aussi directe dans ses paroles. Mais il ne pouvait pas lui en vouloir après ce qu'il avait fait dix ans auparavant. D'accord, lui dire qu'il y avait prescription n'était pas malin parce qu'une fois que l'on a souffert, on s'en fout si c'était il y a longtemps ou pas. Généralement, quand on est trahis par une personne à qui on tient, ça nous poursuit dans notre futur. Faire confiance de nouveau est quelque chose de très difficile. Pourtant, ces deux-là n'avaient été en couple que pendant deux semaines, on ne pouvait pas dire qu'ils avaient noué des liens forts et qu'ils avaient confiance l'un en l'autre. Ca avait été tellement bref. Bon, d'accord, c'était de la faute d'Elijah sur ce coup-là, s'il n'avait pas déconné, ça aurait peut-être duré plus longtemps, ils se seraient mieux connus, ils auraient noué des liens mais voilà, ce qui était fait était fait et Lloyd ne pouvait pas changer le passé. Mais il pouvait améliorer l'avenir. Le pardon d'Abby était important pour lui, beaucoup plus que celui des autres nanas qui n'en avaient strictement rien à faire. Il savait qu'on ne pardonnait pas facilement ce genre de choses mais voilà, il était prêt à beaucoup de choses pour qu'elle lui pardonne.

"Vous êtes tous pareils..." Ah bah ça, si Abby n'avait pas la rancune tenace, il se poserait vraiment des questions. Le ton qu'elle avait utilisé était assez sec et, apparemment, elle n'avait pas du avoir de chance par la suite. Quoi ? son "Vous êtes tous pareils" voulait tout dire non ? Elijah ne voulait en aucun cas remuer le couteau dans la plaie. Il savait que c'était pénible d'entendre ses excuses à tire larigot mais Elijah n'avait jamais été aussi sincère. Elle pensait le contraire et c'était normal.

- "Je comprends que tu sois fâchée, j'ai aucune excuse mais tu crois pas qu'après autant de temps, les gens peuvent changer ? Oui, j'ai des remords. Oui, c'est dix ans plus tard mais mieux vaut tard que jamais non ? Je te demande pas de me pardonne sur le champ mais laisse-moi t'expliquer"

En réalité, Elijah n'avait rien à lui expliquer. Il était jeune et con, il avait fait des conneries mais qui n'en fait pas ? D'ailleurs, pendant de nombreuses années encore il en avait faites mais voilà, il avait changé, grandit. Il n'y avait pas spécialement une raison à ce changement, il avait juste réalisé qu'il avait manqué beaucoup de choses. Non, il ne regrettait pas sa jeunesse, d'en avoir profité, loin de là. A l'heure d'aujourd'hui, il savait ce qu'il voulait. Il le savait éperdument.

 Abby ne voulait pas de confrontation aujourd'hui, surtout pas avec lui de surcroit. Il était une ombre de son passé, et pour être honnête, elle ne pensait plus le revoir de sa vie étant donner qu'il n'avait jamais ressenti le besoin de vivre ici, enfin d'après ses souvenirs. Au lycée, Elijah était le genre garçon avec qui elle rêvait de sortir, d'où le fait qu'elle était toujours un peu blesser par ce qu'il avait fait. Il fallait être horrible pour coucher avec l'amie de sa copine, et c'était d'autant plus choquant qu'il ne s'en était pas caché à l'époque. Abby devait se calmer et retrouver toutes ses facultés de concentrations pour se sortir de cette situation. « Même  si je te laisse une chance te t'expliquer, ça ne veut pas dire que je te donne mon pardon Elijah. Je n'étais pas la première fille avec qui tu faisais ça et je ne suis surement pas la dernière, alors je ne vois pas pourquoi je devrais t'aider à te repentir. » Dit-elle en essayant de cacher cette légère pointe de tristesse dans sa voix. Elle posa sa tête sur la lourde porte en bois avant de prendre une grande inspiration. Elle n'était pas en colère uniquement envers lui, sa rage concernait les hommes en général. D'abord, Elijah lui avait brisé le cœur au lycée, puis Nolan l'avait détruit en portant la main sur elle, elle n'avait pas vraiment eu de chance en amour depuis des années. Elle n'avait pas tellement d'expérience, de par son ancien métier de mannequin, elle avait été très méfiante envers les hommes qui recherchaient à tout prix l'argent et la beauté chez une femme. Abby avait grandi depuis sa dernière année, mais elle restait toujours aussi têtue et de ce fait, il était hors de question qu'elle lui accorde ce qu'il souhaitait. Le jeune homme avait perdu sa confiance et selon elle, ce n'était pas demain qu'elle allait lui accorder une nouvelle chance de prouver qu'il était un homme bon au fond de lui.

Après quelques minutes de silence, elle se décida à ouvrir le verrou et la porte avant de lui annoncer clairement ce qu'elle attendait de lui pour le moment. « Tu as cinq minutes pour essayer de t'expliquer. » L'institutrice de demanda s'il ne cherchait pas faire amende honorable pour les yeux d'une femme, mais il pouvait aussi vouloir conclure avec elle pour l'avoir enfin dans son lit. Quoi qu'il dise, elle ne comptait pas lui dire qu'elle oubliait tout, au contraire, puis elle avait envie de savoir ce qui le poussait à faire tout ce cirque. Elle fit alors un geste à Elijah, l'invitant alors à entrer dans la petite salle de classe déserte. Elle qui pensait pouvoir passer une journée sans avoir à penser à ses soucis, elle se trompait lourdement. Ils avaient la fâcheuse tendance à vouloir lui rappeler son passé chaotique, même si Elijah restait un enfant de cœur comparé à Nolan qui était devenu le diable en personne pour elle. Abby avait l'impression qu'Elijah ne lâcherait pas l'affaire, ce qui allait être un gros problème pour elle.

"Tu as cinq minutes pour essayer de t'expliquer" Bon, là, il n'avait pas le choix que de trouver une réponse. Honnêtement, il ne s'était jamais posé la question de pourquoi, adolescent, il avait autant déconné. Chaque ado avait sa période où plus rien n'allait, où les hormones lui jouaient des tours. Elijah avait déconné, il le savait. Il savait qu'il n'aurait pas du faire tout ça mais n'avait pas encore la réponse. Enfin, son psychologue lui disait que tout ça avait commencé au moment où ses parents avaient décidé de divorcer. Elijah avait été anéanti et était plus vulnérable, il se laissait plus souvent avoir et ne réfléchissait pas vraiment. Honnêtement, Lloyd ne savait pas si c'était vrai toute cette histoire. Ce n'était pas possible que le divorce de ses parents l'aient anéanti au point de devenir une personne qu'il n'avait jamais été auparavant. Et puis, en grandissant, il s'était calmé. Du moins, cela faisait deux ans qu'il était beaucoup plus calme, plus posé. Bon, il aimait toujours autant s'amuser et faire la fête mais, en même temps, cela faisait partie du boulot qu'il faisait pendant le week-end non ? Ce n'était pas un enfant de coeur non plus, c'était juste un jeune homme de vingt-huit ans comme les autres. Ni plus ni moins.

Entré dans la classe d'Abby, le jeune homme regarda autour de lui. La classe était recouverte d'une peinture rose fuchsia et de plusieurs posters comme l'alphabet, les chiffres, les noms d'animaux mais également une carte du Royaume-Uni et une de l'Europe. Des dessins également étaient pendus sur les murs de couleur vive. Une vraie classe d'enfants de primaire enfaite. Etre institutrice, ça allait plutôt bien à la jeune Town. Bien que têtue, il se souvenait qu'elle était calme et protectrice. Comme la plupart des femmes enfaite. Maintenant, il se doutait qu'il fallait être stricte également pour être institutrice. Ou professeur tout simplement. Et il fallait une sacrée patience. Ca, Elijah n'aurait jamais pu. Il admirait, à l'heure d'aujourd'hui, les profs qui lui avaient donné cours et qui devaient supporter une classe comme il avait eue en dernière année. Doucement, il marcha simplement, faisant des ronds. Il savait aprésent ce qu'il allait dire à Abigail.

- " Je ne cherche pas à ce que tu me pardonnes, du moins pas maintenant, Abby. Je n'ai aucune excuse, d'ailleurs. Je veux juste que tu saches que je suis désolé pour ce que j'ai pu faire par le passé. J'ai remarqué que certaines filles à qui j'ai également joué n'en avaient strictement rien à foutre, et honnêtement, leur pardon à elles, je n'y tiens pas. C'est le tien, Abby. J'ai fait le con avec toi, j'ai pas mesuré la chance que j'avais, j'étais qu'un petit con. J'espère juste que t'es heureuse à l'heure d'aujourd'hui parce que c'est tout ce que je veux. "