Je fixais mon reflet depuis une bonne dizaine de minutes, sans ciller, sans bouger, enfermée dans la salle de bain. Cheveux humides après la douche, qui gouttaient un peu sur mes épaules nues, une petite coupure sur la lèvre et un bleu assez vilain près de l'arcade sourcilière gauche, qui se prolongeait jusque la tempe. J'avais du mal à me dire que, cet après-midi même, j'avais eu cette séance photo catastrophique. Quand j'étais rentrée, j'avais filé sous la douche, pour essayer d'effacer la sensation des mains de cet homme sur mes poignets, de ses coups... Cela avait plus ou moins marché. Je ne m'étais pas faite violer. Cela aurait pu être vraiment pire si Liam n'était pas arrivé à temps. J'avais eu de la chance. Mais j'avais une boule de peur qui s'était nichée dans mon ventre, et ce, pour un bout de temps. Cela ne me serait jamais arrivée si j'étais restée chez mes parents. Ce n'était pas dans mon ancien quartier qu'il me serait arrivé une chose pareille. Je fermais les yeux, pour ravaler les larmes. J'étais encore un peu sous le choc. Mais ça allait.

Ça allait d'autant mieux que ce que j'espérais depuis trois semaines s'était enfin réalisé. Enfin, je le pensais. Je passais mes mains sur mon ventre, le caressant doucement. Enceinte. J'étais peut-être, même sûrement, enceinte. Un petit sourire étira mes lèvres, malgré moi. Mais il disparu assez vite quand je repensais à ce que j'allais dire à Sven. Comment lui annoncer ? Toutes mes certitudes s'effondraient à mesure que les secondes passaient, et que le moment où il allait rentrer se rapprochait. Je n'avais cessé de croire que cela le garderait auprès de mois, mais j'avais réellement peur de sa réaction. Il était si imprévisible... Et j'avais déjà assez subi pour la journée. Mais je devais lui dire. J'en étais persuadée, j'attendais un enfant. Le sien. Et je devais lui dire.

Je retournais dans la chambre, où j'ouvrais la fenêtre afin d'avoir un peu d'air dans la chambre, où l'on étouffait presque. Ces derniers jours avaient été très chauds - étonnant pour ce pays - et l'orage se faisait sentir. Il faisait donc très lourd. Le réveil indiquait qu'il n'était pas encore minuit. Sven n'était pas prêt de rentrer. Je m'allongeais dans le lit, vêtue d'un débardeur et d'une culotte - le maximum que je pouvais supporter sans mourir de chaud - et enroulait mes jambes dans le drap fin. Mes pensées défilaient, essayant d'anticiper la discussion qui allait se dérouler prochainement. Mais je ne savais quel scénario serait celui qui se déroulerait vraiment.

Je ne sais pas quand est-ce que je me suis endormie, et je ne me souviens même pas de ce que je pensais à ce moment là. J'entendis juste la porte de la chambre s'ouvrir, un rai de lumière pénétrer dans la pièce, et une présence arriver, ce qui me tira de mon demi-sommeil. " Sven ? " Ma voix était complètement endormie et mes yeux peinaient à distinguer comme il faut la silhouette.

La dernière fille était rentrée. Puis repartie. C'était ainsi tous les soirs. Il les faisait sortir, s'assurant en premier lieu qu'elles le pouvaient, qu'elles étaient assez apprêtées pour cela, et une fois fait, il les envoyait chez leur client. Puis il attendait qu'elles reviennent, s'assurant de leur santé et de la bonne marche de leur contrat. Une routine qu'il n'avait pas de mal à suivre tant elle était agréable, tant elle l'empêchait de penser aux réels problèmes de sa vie. Et si vous vous posez la question, non, le fait d'héberger un voleur professionnel ou de dealer de la drogue ne faisait absolument pas partie de ses problèmes de conscience et de ceux auxquels il avait à faire face actuellement. Par contre, le fait que son père risquait fort d'engager des poursuites contre lui pour récupérer Evanna, ça, c'était autre chose. Il doutait de sa capacité à aimer sa fille, surtout après son coming-out mais qui savait, peut-être leur mère aurait-elle un sursaut d'instinct maternel et qu'elle essaierait, comme le signifiait la lettre qu'il avait reçue plus tôt dans la semaine, de soulager l'âme de sa fille en lui enlevant ce problème qui les avait séparés. Evanna avait failli en vomir, comprenant que celle qui l'avait mise au monde voulait à tout prix lui "enlever son homosexualité"... Comme si c'était simplement possible. Sven, pour être honnête, n'avait pas été loin non plus de rendre son repas de midi ... Il fallait dire qu'il y avait bien une chose qui ne le mettait pas de marbre, c'était sa famille. A chaque fois qu'il en parlait, celui qu'il était avant revenait en force pour lui souffler des mots de haine profonde. Puis il avait eu une crise. Evanna l'avait enfermé dans sa chambre, d'après ses dires, mais il ne se souvenait de rien. La première fois depuis des mois, précisément lorsqu'il pensait à son père. Quelle coincidence ... Mais si seulement il n'y avait eu que ça ... Pandora qui essayait de renverser l'ordre en place à Rose Hip, ordre qui l'arrangeait bien plus qu'autre chose, il fallait bien l'avouer, et cerise sur le gâteau, Maxine qui ne voulait pas signer les papiers du divorce, l'obligeant à faire appel à Satine pour un peu d'aide. Il fallait croire que c'était chose courante entre eux, n'est ce pas ?

Saluant sa patronne et amie, qui s'en allait en même temps que lui, ainsi que Megara, qu'il gratifia d'un signe de tête, l'encourageant de façon muette pour le rangement du bar, il sortit, et rejoignit sa voiture. Il fallait dire qu'il n'avait pas lésiné sur l'achat de cette merveille, qui était un investissement mais à la fois tellement utile. D'un noir mat, il évitait de la garer aux yeux de tous à la Rosehaie, persuadé qu'elle finirait les vitres brisées et les roues en moins si jamais il osait. Alors il avait loué un garage pour bichonner sa voiture. Il y tenait presque plus qu'aux humains. Il était non loin de chez lui, il n'eut donc pas le temps de provoquer un quelconque accident, ni même de partir trop loin dans ses pensées. Une fois qu'il eut rangé sa voiture correctement au fond de sa remise, il continua le chemin à pied. Tout le monde ici le connaissait, et malgré les personnes traînant dans la rue, personne n'osait sans prendre à lui. Parce qu'il était craint par la plupart des gens, certes, mais aussi parce qu'une légende urbaine courrait qui disait qu'il était affilié au père de la mafia russe. Et pour ça, sans doute Evanna n'était pas innocente. S'il se nourissait de tourments, elle se nourrissait de crédulité.

Glissant la clé dans la serrure, Sven franchit le pas de la porte le plus silencieusement possible. Tout le monde semblait dormir, ou bien sorti. Sans doute était-ce le cas de Shawn... Pour sa soeur, il n'en avait pas la moindre idée, et fouilla dans sa mémoire pour essayer de se rappeler de ce qu'elle lui avait dit. Au cinéma, elle était allée au cinéma avec un ami à elle pour tenter de faire l'impasse sur les mauvaises nouvelles. Secouant la tête, il referma la porte. Elle avait bien son double de clés de toute manière. C'est donc à pas de loups qu'il s'approcha de sa chambre, pour en franchir le seuil. Sans surprise, il y trouva Max enroulée sous les couvertures, en train de dormir. Lui jetant à peine un regard, il se dirigea vers le placard pour y ranger sa veste et son sac. " Rendors-toi je ne fais que pass..." Sans doute était-il bien parti pour l'ignorer, alors qu'il commençait à désserer sa cravate. Sans doute l'aurait-il fait, s'il n'avait pas posé les yeux sur elle, spécialement sur son visage. Fronçant les sourcils, il se planta devant le lit. " Qui t'a fait ça ? C'est un client?" Si Satine était passée à côté de ça, elle risquait fort de l'entendre ... Mais la blonde était une professionnelle, elle n'aurait pas tu ce genre d'événements, surtout pas devant lui en sachant qu'ils habitaient ensemble.

Peu à peu, mes yeux arrivèrent à distinguer autre chose qu'un amas d'ombres noires. La lumière me piquait les yeux, mais au moins j'avais reconnu Sven. Le réveil indiquait déjà quatre heures du matin, ce qui n'avait rien d'étonnant sachant qu'il faisait toujours la fermeture du bar pour s'assurer que tout était en ordre. Par contre, le "je ne fais que passer", me fit froncer les sourcils. Qui comptait-il rejoindre cette nuit là ? J'étais désormais bien réveillée, assise dans le lit, prête à lui demander où il allait et si c'était vraiment urgent. Je ne comptais pas le forcer à rester dormir avec moi, il m'aurait envoyer bouler avec le sourire. Si lui avait toute emprise sur moi, je n'en avais aucune sur lui. Cependant, si je pouvais réussir à le faire rester ici ce soir ... Parce que le savoir dans le lit d'une autre fille - même si je n'avais pas encore pu le prouver, c'était presque comme une évidence, et le panneau "trompée par son mari" devait clignoter au-dessus de moi en permanence. - me donnait envie de vomir, de me rouler en boule et de pleurer, et plein d'autres choses encore. Sauf que je n'y pouvais rien. Je n'avais aucun moyen de le faire rester à mes côtés. Et cela m'apparaissait un peu plus clair chaque jour, il n'avait aucunement envie de rester à mes côtés. Pour le moment ...

Il était entrain d'enlever sa veste et de poser son sac dans l'armoire, quand il se dirigea du côté du lit où j'étais entrain de dormir, laissant passer un nouveau rai de lumière qui me fit plisser les yeux. Sa question me fit ouvrir des yeux étonnés. J'avais encore le cerveau embrumé et je ne comprenais pas de quoi il parlait. Mais il me fixait avec insistance les sourcils froncés. Je me passais la main dans les cheveux, essayant de trouver de quoi il voulait bien parler, et la douleur qui me traversa le crâne quand je touchais le côté de ma tête me rappela au bon souvenir de cette journée. Je ne pu retenir une grimace de douleur. J'étais tellement concentrée sur ce que j'avais à lui dire que j'avais oublié qu'il verrait mon bleu et ma lèvre coupée, et se poserait sûrement des questions. Enfin, j'aurais espéré cela, mais j'aurais été très loin d'en être sûre. Le fait qu'il s'inquiète pour moi - même si sa question montrait qu'il s'inquiétait surtout du fait qu'un connard traîne dans son bar - me redonna un peu de confiance. " Non, ce n'est pas un client... " Je m'interrompais, me souvenant que je l'avais quand même rencontré au Mystic, qu'il y venait régulièrement, et qu'il avait une si bonne image que n'importe quelle fille pouvait se laisser tenter. Comme moi. " Enfin, si, c'est un client. Mais ça ne s'est pas passé au bar. "

Je sentais presque les réprimandes venir et le "pauvre idiote" sortir de la bouche de Sven quand il saurait ce qui était arrivé. Comme une gamine qu'on engueule mais avec beaucoup d'ironie face à sa bêtise. Je pouvais toujours rêver pour qu'il me montre un peu de compassion et qu'il me demande si ça allait bien. Je n'avais aucune envie de revivre mentalement cet épisode, ni même d'en parler. J'avais juste envie d'enfouir ça au fond de moi, d'oublier, et stop. Mais je savais que Sven allait vouloir des précisions, ne serait-ce que sur son nom et son prénom, pour pouvoir le virer du bar et lui donner un avertissement afin qu'il ne touche pas à celles qui contribuaient à ses revenus. " C'est un mec qui traîne souvent au Mystic, et qui est toujours gentil avec nous toutes. Il parlait de son métier - il est photographe - un soir, et a demandé à la volée qui serait tentée par un shooting pour une marque de fringues. Il m'a reproposé cela un autre soir, et j'ai dis oui. Son studio est dans le quartier Thistle, à côté d'une boîte d'informatique, et ça semblait plutôt correct, sain, pas du tout lugubre ni rien... Le shooting en soit c'est très bien passé, il a été correct mais... " Je sentais la boule de panique se reformer dans mon ventre. Je me redressais un peu plus et m'appuyait contre la tête de lit, bras croisés, évitant de fixer Sven. J'avais presque honte que ça me soit arrivé. J'avais surtout besoin qu'on me rassurer, un peu comme Liam l'avait fait. J'essayais de faire partir la boule qui s'était formée dans ma gorge et repris d'une voix que je voulais le plus neutre possible. " Et puis je suis allée me changer pour repartir, et il est revenu, il m'a attrapée par le poignet... " Je m'arrêtais encore une fois, histoire que ma voix ne se brise pas en plein milieu de ma phrase. " Mais y a un autre homme qui est arrivé, il tenait la boutique d'informatique et il a entendu le tapage. " Je ne précisait pas si j'allais bien, si j'avais eu peur ou quoi, j'étais certaine que Sven ne s'en préoccupait pas plus que ça. Il fallait être réaliste, il allait s'empresser d'aller retrouver ce Maxime, et je resterais seule ici sans pouvoir en parler, avec cette peur qui reviendrait.

On pouvait reprocher une bonne dose de choses au russe. Ses antécédents familiaux aidant, il était loin d'être l'homme parfait qu'il pouvait d'abord le sembler pour toutes les idiotes qu'il souhaitait mettre dans son lit. Il était même sans doute tout le contraire, détestable et noir aussi bien intérieurement qu'extérieurement. Voilà peut-être la raison pour laquelle il n'avait pas énormément d'amis. Peu pouvaient trouver que son absence flagrante de sentiments humains était appréciable. Sans doute que seuls sa soeur et Shawn en étaient réellement capables, ce que le jeune homme trouvait particulièrement ironique, lorsque l'on connaissait la première ... Et le deuxième. Une bande de marginaux qui ne savaient pas vraiment où était leur place mais qui en profitaient allègrement, voilà ce qu'ils étaient. Sans doute appréciaient-il ce statut. Qui ne voulait rien dire mais qui les distinguait de cette assemblée de moutons qui caractérisait toute société. Evanna n'était pas du genre à suivre les règles, sans doute tenait-elle ça de son frère. Pas de son père, c'était clair. Viktor Ström ou l'homme qui ne savait plus depuis bien longtemps comment outre-passer les règles et s'y tenait donc plus scrupuleusement que n'importe quel autre. Mais il déviait parfois bien trop, notamment lorsqu'il s'agissait de sévices à infliger à sa femme. Il avait vécu cela, tout comme sa soeur, entendre leur mère pleurer le soir parce qu'il avait été trop violent. Sans doute cette image le poursuivrait jusqu'à ce qu'il passe l'arme à gauche. Si Sven avait récupéré la violence de son père dans la transmission des gênes, il se prenait à croire que jamais il ne pourrait lever la main sur sa femme. Alors que quelqu'un d'autre ait pris ce droit, client ou pas, malgré ce qu'il pouvait bien sembler, ne lui plaisait pas beaucoup. Quel euphémisme, il avait tué pour moins que ça.

S'asseyant à côté de Max dans le lit, pour la regarder de plus près, il put observer qu'elle était vraiment amochée. L'homme qui lui avait fait ça n'avait pas réellement été tendre, et il penchait pour l'hypothèse de l'alcoolique, ou bien de celui qui n'avait pas eu ce qu'il désirait. Les hommes, avec ceux qu'ils considéraient comme des putes, ne montraient en général aucun respect. On était bien loin de l'époque Pretty Woman ou l'homme respectait la femme et où tout débouchait à une histoire d'amour entre une prostituée - ou strip teaseuse si on prenait le contexte actuel - et un homme riche. Malheureusement pour certaines qui vivaient encore dans les Disney dont elles avaient été gavées étant gamines, la vie réelle ne se passait pas toujours ainsi, et elles tombaient souvent de haut. Autrement dit, Maxine avait sans doute eu de la chance de pouvoir s'en sortir sans passage obligatoire par l'hôpital. " Raconte. " Ce n'était pas un ordre, pas une obligation, mais il voyait bien que la jeune femme avait en quelque sorte besoin d'en parler, comme pour se justifier de ses précédentes paroles ou qu'est-ce qu'il en savait ... Alors il se tut et l'écouta parler.

Ce ne fut pas chose facile. S'il s'était écouté, il l'aurait coupé, aurait sans doute ri sans aucune trace d'humour dans la voix, ou bien aurait soupiré d'agacement face à la bêtise de Max. Mais il n'en fit rien, se contentant de fermer les yeux un quart de secondes pour se contenir jusqu'à ce qu'elle ait fini. Bien entendu, le fait qu'un connard violeur s'amusait à ameuter les filles les plus naïves dans son studio pour ensuite en abuser ne le ravissait pas. Il était même certain que si Max s'en était sorti, d'autres avaient dû aller jusqu'au bout sans en souffler mot ni à Satine ni à lui. Après tout, lorsque l'on analysait la situation, c'était un acte stupide. Stupide et naïf. Alors bien entendu qu'elles n'en parlaient pas. Mais il faudrait qu'il en touche deux mots à la blonde. " Je ne vais pas te dire que c'était complètement con de faire confiance à un inconnu parce que tu sembles plutôt douée pour ça ... Après tout tu te retrouves mariée à un mec que tu connais depuis deux mois. Mais ... Sérieusement ... Comment t'as fait pour pas le voir venir? Certes il aurait voulu pouvoir s'empêcher les réflexions mais pour le coup cela semblait être un trop gros travail sur lui-même. Avec un soupir, il se massa la nuque. "Si tu me donnes son nom tu ne le reverras plus, c'est déjà ça ..." Ce n'était pas comme si c'était la première fois qu'un truc pareil arrivait, en général, on s'en prenait à Shanti. Bien qu'elle sache très bien se défendre toute seule, une ou deux fois il avait dû lui porter secours, et ça n'avait jamais été très plaisant pour l'homme en question. " Comment tu te sens?"